Sorcellerie & Féminisme, la figure de la sorcière dans la pop culture

Dans les contes de fées, femme en général laide, qui possède des dons surnaturels, qu’elle utilise pour faire le mal / Femme laide, déplaisante, voire méchante et malfaisante.

Larousse, définition du mot « sorcière »

Sorcières, marginalisées et féministes ?

Considérée à travers les siècles comme un « danger » pour les sociétés humaines, l’image de la sorcière se décline sous plusieurs identités. Filles du mal dans les religions monothéistes, cannibales mystiques pour d’autres, chamanes de l’invisible ou prêtresses d’Avalon, elles n’ont eu cesse d’abreuver nos mythes, nos légendes, nos croyances mais aussi notre culture populaire mondialisée. Devenue une icône féministe par excellence, la sorcière est cette femme qui dispose d’un pouvoir particulier. Magie profane pour les religions patriarcales, en opposition avec le pouvoir sacré d’un Dieu masculin, d’un père autoritaire ou d’un mari jaloux, cette puissance est souvent acquise par ses propres moyens, ou par un pacte avec un esprit, une divinité ou une créature. Passant ainsi du côté de « l’actif », elle déroge à la pensée éminemment sexiste que la féminité serait « passive » ou encore « soumise » par nature, attendant soi-disant que le premier pas vienne d’une masculinité forte et virile. La sorcière est une femme persécutée devenue bouc émissaire pour faire taire une partie de la population féminine, forte, différente et originale. La sorcière ne subit pas seulement les forces de la nature expliquées par les volontés divines quelles qu’elles soient, elle utilise, elle dompte une puissance et se l’approprie pour en faire « sa magie ». En réalité, les femmes dites sorcières ont pourtant bien été victimes d’un génocide, d’un crime contre l’humanité, d’une volonté ferme et calculée de faire taire un genre, de lui faire peur, et ainsi de le soumettre. On ne peut pas nier l’utilité social de disposer d’un bouc émissaire évident. Trouver une cause unique à la souffrance et aux problèmes des sociétés humaines a toujours été d’une simplicité et d’une malhonnêteté nécessaires à un système, en réalité fragile, mené par une oligarchie d’hommes, souvent privilégiés, ayant peur d’éventuelles révolutions. L’intérêt du « marginal » est aussi de resserrer une certaine « norme » pour empêcher les femmes de prendre le pouvoir, pour montrer aux femmes ce qu’elles ne devaient pas faire : avoir une opinion, disposer de leur corps et jouir d’une liberté qui n’appartient qu’aux hommes. Une chasse aux sorcières d’un patriarcat religieux et obscurantiste à l’époque, une chasse aux exilé.e.s d’un électorat d’extrême droite d’aujourd’hui. Néanmoins, toute personne marginalisée marque les consciences, pousse à la réflexion et entre dans l’imaginaire collective. La sorcière fait encore couler de l’encre, beaucoup d’encre. Depuis le mythe de Circé, celui d’Ishtar ou d’Hécate, le terrible Malleus Maleficarum ou le Marteau des sorcières, écrit en 1487 par Heinrich Kramer, alias Institor, ainsi que les témoignages de procès de sorcellerie, des romans, des thèses, des essais, des études et de nombreuses œuvres d’art l’ont remise au goût du jour. Encensées et érigées en protectrices de l’environnement, gardiennes des opprimé.e.s et vengeresses des injustices, les sorcières cherchent à remettre en cause l’ordre établi. Indépendantes et cherchant à contrôler son environnement, elles apparaîssent comme des militantes qui ne laissent pas les autorités et les structures mises en place gouverner, à leur place, font ses propres choix et disposent de leur libre-arbitre.

« Réfléchissant sur le mana, ce terme magique de l’océan Pacifique, par définition indéfinissable, qui pourrait être de nos jours traduit par un « waouh » ou « waouhissime » comme je l’ai entendu sur France Inter pour exprimer un étonnement émerveillé, Lévi-Strauss observait que dans toute culture se trouve un terme vague, un « signifiant zéro » prêt à s’appliquer à toute nouveauté. Les marginaux de toutes les cultures occupent la place du signifiant zéro ; ils ne cadrent pas. Ils ne s’accordent pas, sinon ils ne seraient pas marginalisés. […] Ces porteurs et porteuses de « waouh » encore indéfini qui pointent le nez à chaque alerte sur l’évolution du monde, Claude Lévi-Strauss les jugeait suffisamment nécessaires pour leur attribuer une fonction primordiale : constituer, partout et pour chaque peuple, « une réserve de signifiants » capables de renouveler la langue, mais aussi tout le champ symbolique. Là, dans ces lieux encore broussailleux, se planquent les sorcières des temps nouveaux. Parce qu’elles sont toujours hors cadre, elles seront inestimables en termes de renouvellement. Nous aurons besoin des marges et je crois qu’elles vont se renforcer. Puissantes parce qu’elles sont inassimilables, les sorcières se sont toujours tenues dans cette rébellion marginale qui, sans aucune revendication totalisante ni goût du pouvoir, a fait d’elles le sel de terre et celui de la vie. ».

Le Musée des Sorcières : Catherine Clément, Éditions Albin Michel, 2020

Devenue une catégorie de personnages jouables dans de nombreux jeux vidéo et jeux de société (de Donjon & Dragon à World of Warcraft), la « sorcière » est devenue une protagoniste récurrente de la pop culture moderne. Une dynamique d’exclusion et de peur qui la caractérise en premier lieu se retrouve dans un bon nombre d’œuvres. On se souvient des sorcières fantomatiques et vengeresses de Antichrist de Lars Von Triers, la dangereuse sorcière Karla des Chroniques de la Guerre de Lodoss, l’apprentie sorcière Maple qui vit en marge de la société dans The Legend of Zelda, ou encore l’étrange Sorcière Céleste de Ni no kuni. La trilogie des trois mères de Dario Argento met en scène ces sorcières diaboliques, réveillées pour détruire l’humanité. Les sorcières se montrent souvent esseulées, incomprises, luttant de leurs propres forces pour ébranler les piliers du monde présent. Qu’elles soient diaboliques ou révolutionnaires, elles vivent hors des normes, souvent en rapport étroit avec la nature. L’inquiétante sorcière de Blair Witch vivant dans une forêt sombre, Morigan de Dragon Age, ou encore la mystérieuse sorcière émancipatrice de The Witch (Robert Eggers, 2015). Cette dernière œuvre est un film canado-américain d’horreur mettant en scène une famille dévote cherchant, grâce au travail de la terre, à domestiquer une nature sauvage jugée diabolique puisque « non-ordonnée » par l’Homme selon les volontés de Dieu. Éloignés ainsi de la civilisation, le couple et leurs cinq enfants se retrouvent aussi dans un état de marginalisation, cultivant patiemment leurs champs d’une Nouvelle-Angleterre des années 1630. C’est alors que leurs récoltes se dessèchent soudainement, amenuisant petit à petit leurs réserves de nourriture. La mystérieuse disparation de Samuel, un bébé en bas âge qui se trouvait alors sous la garde de l’aînée, Thomasin, présentée par sa famille comme une jeune fille imaginative, marque le début d’une véritable chasse aux sorcières pour savoir lequel d’entre iels aurait « péché » et amené le diable dans cet endroit paisible qui devait ressembler à un nouvel Eden. Très vite, un climat de méfiance s’installe liant les croyances fanatiques des parents à leurs difficultés de plus en plus prononcées à vivre isolé·e·s et à se nourrir, des envies sécrètes d’adolescent·e·s en pleine puberté reclus·es au sein de leur unité familiale et des vives inquiétudes de leur mère sombrant peu à peu dans la folie. Un véritable conte horrifique débute alors. La sorcière apparaîtra rapidement comme une sorte d’échappatoire à une jeune fille vivante dans un monde rigoriste et chrétien. Aux yeux de plusieurs membres de sa famille, Tomasin apparaît déjà comme une sorcière. La jeune fille est rejetée par sa mère pour avoir perdu le bébé, et accusée par les jumeaux de sa famille d’en être responsable. Elle est également désirée par son frère entrant en plus puberté (loin de toute civilisation et donc de tout autre femme) et son père se met à lui dire que le triste destin de sa famille est de la faute de la jeune fille. Une accusation que ne supportera pas Tomasin puisque c’est son père qui les a poussé à émigrer loin de la communauté, qui refuse de demander de l’aide aux villageois·es à cause de sa foi et de sa fierté mal placé. Malgré le fait qu’elle fait de son mieux, personne ne la croit et des événements de plus en plus étranges font leurs apparitions. Lorsqu’elle aura tout perdu, elle finira alors par rejoindre le cercle de sorcières en plein sabbat. Tomasin n’a pas souhaité devenir une sorcière mais elle l’est devenue car elle a été marginalisée, accusée à tort et violentée. Au final, le déterminisme découle d’une chasse au bouc émissaire dans un monde de fanatiques religieux. Tomasin apparaît dès le début du film comme une force vive, une volonté émancipatrice de l’ordre mis en place sans son consentement. Une nature sauvage et cruelle, se devant être « ordonnée », « domestiquée » par l’Homme pour répondre aux préceptes d’un Dieu masculin et distant, devient alors le refuge de ces femmes qu’on imagine chassées, agressées, discriminées à l’instar de Tomasin, par d’autres familles, d’autres communautés. Elles se retrouveraient ainsi entre elles, formant une société à part entière tout en ayant obtenu de puissants pouvoirs en pactisant avec le Diable. La jeune fille deviendra alors ce que ses parents ont redouté : la figure de la sorcière, libre, sensuelle et puissante dans un monde de domination religieuse, de dogmes froids et d’expiation des péchés.

Les Moires de The Witcher 3 apparaissent comme de véritables « sorcières des marais », malveillantes et cannibales. Leur lien fort avec la nature font d’elles, des sortes de créatures tutélaires d’un domaine précis dont elles sont les gardiennes. Un autre exemple plutôt frappant de cette exclusion marginalisante est la figure de Lilith. Les mouvements féministes des années 1960 avait déjà repris cette image judéo-chrétienne de la première femme d’Adam, Lilith, chassée du paradis pour avoir refuser d’avoir des rapports sexuels comme son époux le souhaitait. Devenue la femme du diable, Lilith aurait été formée à l’égale de l’homme, par la même glaise, c’est son égalité qui avait donc poussé à sa désobéissance. Celle qui lui succédera, Ève, fut alors formée de la côte de son époux, lui devant ainsi une obéissance sans faille. Reine des vampires (True Blood) ou première sorcière (The Chilling Adventures of Sabrina), Lilith apparaît alors comme une matriarche assoiffée d’égalité. La volonté de détruire une organisation sociale, politique ou religieuse existante, de déconstruire une « norme » caractérise donc l’une des facettes principales de la sorcière. Puisqu’elle possède un pouvoir qui semble inépuisable, la nécessité de faire preuve de self-control apparaît alors. Ni passive, ni soumise, cette femme est en mesure de détruire le monde si elle le voulait. Les personnages de Yennefer sombrant dans le chaos ou encore de Willow, accablée par la perte de son amour, tentant de provoquer l’apocalypse répondent à cet impératif de responsabilisation. Reprenant une thématique habituellement masculine liée à la responsabilité découlant du pouvoir, la sorcière ne possède pas seulement une puissance, elle peut l’utiliser selon son libre-arbitre. Les sorcières rebelles de The Craft représentent également cette marginalité de ces quatre adolescentes rejetées de leurs camarades de classe, cherchant à transgresser les interdits des adultes, les limites de la société, et de contrôler leur environnement, qui se réunissent en groupuscule soumis à leurs propres règles, et répondant à leurs propres normes, tout en cherchant à apprendre à soumettre ces pouvoirs magiques à leurs volontés.

La sorcière renvoie également l’image de la femme manipulatrice, utilisant son intelligence et son corps pour murmurer à l’oreille des puissant·e·s. Une femme qui dirige dans l’ombre et influence la politique. Plusieurs sorcières de la série Salem (initiée en 2014), la sorcière rouge Mélissandre de Game of Thrones (initiée en 2011) devenue conseillère de Stanis Barathéon ou encore Tisséa, éducatrice des futures magiciennes et conseillères des gouvernements mondiaux de l’univers de The Witcher. Bien que marginalisées ou craintes par le commun des mortel·le·s elles s’intègrent dans la société existante et en possèdent même des places de choix. Dans Sleepy Hollow (Tim Burton, 1999), la sorcière marginalisée et « sauvage » s’avère finalement être la « gentille » en opposition à sa sœur, une sorcière manipulatrice s’étant intégrée pleinement au petit de village de Sleepy Hollow, devenant la femme du maire et utilisant le Chevalier sans tête pour obtenir vengeance. Sentant le christianisme envahir et transformer sa culture, Viviane, sorcière et grande prêtresse d’Avalon du film Les Brumes d’Avalon (Uli Edel, 2001), dirige la Grande-Bretagne en secret, allant jusqu’à organiser des rituels d’accouplements des feux de Beltane afin d’avoir un héritier masculin à placer sur le trône. Elle n’hésitera pas à utiliser ses pouvoirs de clairvoyance pour garder une puissante emprise sur le pouvoir temporel et placer ses pion·ne·s. Sorcière plus individualisée, Morgane comprendra qu’on l’a utilisée comme sa volonté et cherchera à s’opposer à la Dame du Lac, quitte à mettre en danger la puissance de l’ensemble des prêtresses d’Avalon. Avec l’arrivée du Christianisme et la disparition de Viviane et la perte de leur pouvoir magique, Avalon disparaît alors dans ses brumes en attendant la renaissance de la Déesse, une figure féminine forte que Morgane croit apercevoir dans la Vierge Marie.

Kiki la petite sorcière (Hayao Miyazaki, 1989) définit le statut de la sorcière par sa participation au système mis en place. L’apprentissage des jeunes sorcières (issues d’une sororité semblant être soit nationale soit mondiale) dépendent de leurs capacités à s’intégrer et à participer à la société. Cherchant à devenir « la sorcière de la ville » afin d’obtenir reconnaissance de ses pair·e·s mais aussi des êtres humains avec qui elle souhaite vivre en harmonie. Bienfaitrice et discrète n’est-elle pas l’archétype le plus conservateur qui soit ? Plaçant de facto la sorcière comme gardienne « d’un foyer », d’une « communauté » mais sans utiliser son pouvoir pour remettre en cause un ordre établi, ou pour le dominer. S’y inclure pleinement et le protéger font donc de ce type de sorcières des protectrices avant d’être des insurgées et des révolutionnaires. C’est notamment le cas des sœurs Halliwell de The Charmed, l’adorable sorcière de Flying Witch, Lulu de Final Fantasy X et Raine de Tales of Symphonia qui apparaissent comme gardiennes au sein d’un groupe salvateur, ou encore les sorcières de Joss Whedon. Le monde des sorciers de la saga Harry Potter se caractérise comme une réelle société parallèle au système des moldu·e·s, un ordre établi répondant à ses propres lois. Militante pour la libération des elfes de maison, sang de bourbe, pro-féministe, Hermione apparaît comme une sorcière ayant dû réaliser davantage d’efforts pour atteindre ses objectifs. Non-privilégiée puisque ne possédant pas d’héritage sorcier, elle est sans doute la protagoniste la plus intéressante de la série. De même, l’organisation des mages de la saga Fate de Type Moon correspond au même imaginaire d’une société « magique » superposée au monde « réel ». Avec une académie magique, de grandes familles de sorciers et sorcières, les mages de Fate/stay night se livrent des batailles sans merci dans le but d’obtenir le Saint Graal, une machine à vœux créée de toutes pièces. Rin Tohsaka, qui apparaît pourtant comme sorcière indépendante, participe à un système de combats imposés et normés par un Conseil Suprême par l’invocation de sept servant, esprits héroïques. La jeune sorcière de Majo no Tabitabi représente les deux facettes d’une sorcière moderne à la japonaise : vivant dans une société harmonieuse entre sorcières et humain·e·s, elle cherche avant tout à devenir la meilleure sorcière. Un apprentissage très « officiel » avec une académie, un système de notes, des badges et des stages à réaliser pour obtenir un grade supérieur qui semble tout droit copié-collé un système éducatif nippon très sélectif. Là où cette jeune sorcière prend de l’importance est dans la puissante volonté de l’héroïne à réussir sa carrière, à exploiter le meilleur d’elle-même pour atteindre des objectifs hauts placés. Une image de la femme qui retourne certains clichés de genre pourtant encore très présents dans la société japonaise.

L’évolution du personnage de Yennefer de Vengeberg (dans la saga Sorceleur aka The Witcher) correspond bien à l’évolution de l’image de la sorcière au fil des siècles : marginalisée de par sa « monstruosité » au début de sa vie, elle rejoindra une sorte de covent, le cercle des mages d’Arteuza, dans lequel elle apprendra les lois et les règles d’une communauté fermée sur elle-même, en marge de la société, où elle apprendra néanmoins à contrôler son pouvoir. Yennefer deviendra ensuite une femme d’influence, ayant le pouvoir de susurrer à l’oreille des rois, pour finalement quitter ce rôle qui ne lui convient plus afin de devenir maîtresse d’elle-même, de tenir une boutique à son compte, loin de la Confrérie, et de s’individualiser. Une belle métaphore de l’image même de la Femme et de ses traitements au cours de l’Histoire. Vanessa Hayves de Penny Dreadful ainsi que Yuuko, la pulpeuse sorcière des dimensions de XXXHolic de l’univers nippon des CLAMP, correspondent également à cette intégration tout en étant marginalisées, jouissant pourtant de privilèges et d’une respectabilité forte due à leurs pouvoirs et leur aura mystérieuse. Yuuko, Maple et Yennefer sont semblables dans le sens où bien qu’elles apparaissent comme étranges dans l’imaginaire collectif, elles tiennent leur boutique de magie non loin d’un groupe social, d’un village ou au sein même d’une métropole, afin de participer à cette économie collective humaine qui les fait survivre. La magicienne Jeanne de la saga de RPG Suikoden, sorcière individualisée faisant son business au sein de résistances successives, soutient un bon nombre de révolutions inscrites dans l’univers de Suikoden. Elle n’initie pas le reversement de l’ordre établi mais prête sa puissante à cette cause, tout en tenant sa boutique de runes au sein de la forteresse auto-gérée.

Sabbats et esbats sataniques transformés de sorcières diabolisées et marginalisées  par l’Église se sont alors transformés en célébrations de covents féministes et écologistes, comme l’impose la série The Chilling Adventures of Sabrina ou les Prêtresses des Brumes d’Avalon. Puis, en sorcière individualisée, comme une Yennefer assoiffée de liberté, éloignée de la société patriarcale mais également de son assemblée de mages, intégrée dans le pouvoir temporel et influençant en secret l’ordre du monde. Une figure du pop féminisme à l’état pur. La sorcière imaginée dans The Chiling Adventures of Sabrina représente toute la complexité et l’évolution de cette sorcière moderne. Groupuscule de sorciers et de sorcières vénérant le Seigneur Obscur au début de la série, le groupe se redéfinit en opposition avec le patriarcat satanique, préférant ainsi honorer la Déesse Hécate aux triples visages plutôt qu’une oligarchie infernale dirigée en grande majorité par le genre masculin. Entre les sorcières marginalisées et les sorcières vectrices de normes, il y a donc les sorcières organisé·e·s, collectivisé·e·s, tentant de structurer une dite marginalisation, et qui s’unissent malgré les différences sous une seule bannière. Un mouvement politique en soi. Un covent à lui seul arpente et développe l’ensemble de ces idées féministes, des sorcières détruites par un patriarcat chrétien dans Les Brumes d’Avalon, se rassemblant au sein d’une île, gérant en secret la politique de la Grande-Bretagne avant d’être séparées de la société humaine aux groupes wicca dans True Blood ainsi que les assemblées des sorcières, les univers mettant en scène des sorcières transpirent de questionnements autour de la religion, de philosophie, d’intrigues politiques et amoureuses et de féminisme qui peinent à être expliqués en quelques lignes.

Le degré de marginalité semble bien propre à chaque sorcière, passant d’une solitude totale au fin fond de la forêt, d’auto-gestion organisée sans contact avec le reste du monde, à des structures collectives vivant en harmonie avec le monde des humain·e·s, se rendant donc utiles voire indispensables au bon fonctionnement et au bien-être de la société humaine, ou encore vivantes dans des sociétés sorcières totalement parallèles. Les sorcières disposent donc de pouvoirs qui leur permettant de « choisir » pour elles-mêmes et par elles-mêmes leur destin. Une image propre aux féminismes modernes.

La sorcellerie est aujourd’hui un art plutôt à la mode dans certains pays. Diminutif de witchcraft, la wicca est un mouvement religieux fortement lié au féminisme et à une prise de conscience écologique qui s’axe autour de deux divinités : la déesse et le dieu, représentant le masculin et le féminin, la lune et le soleil et dont l’addition des deux forme la vie. En grande partie basée sur le chamanisme et l’ancienne religion celte, la wicca est répandue aux U.S.A ainsi qu’en Europe particulièrement en Grande-Bretagne et en Bretagne (qui revendiquent leurs origines celtes). La possibilité, pour les adeptes de la wicca, de réaliser des rituels, et des cérémonies de leurs propres créations en fait une religion moderne très attrayante pour les nouvelles générations à la recherche de plus de liberté et de souplesse des dogmes et des pratiques. De même, il est possible pour l’adepte de choisir les noms et les formes du dieu et de la déesse selon ses préférences. Dans l’esprit de cette philosophie, toutes les déesses de toutes les cultures forment une seule et même déesse (simplement représentée sous de différents traits) et tous les dieux forment une seule et même entité. Une égalité des sexes/genres couplée à une organisation horizontale des êtres vivants, plaît davantage à nos sociétés contemporaines où le patriarcat et le système clérical tendent à être remis en question. Cette sorcière en vogue à l’heure actuelle ne possède plus des caractéristiques exclusivement judéo-chrétiennes. Fortement liée à un chamanisme et des religions dites plus « exotiques » comme le bouddhisme avec son concept de réincarnation, elle se diversifie et s’exporte aisément dans des médias du monde entier, des jeux vidéo japonais aux films d’horreur et fantastiques internationaux. Chaque culture possédant en réalité sa propre image de la sorcière, une constante revient néanmoins chaque fois : cette volonté de déstabilisation d’un ordre social établi et immuable. La sorcière est « celle qui dérange », « celle qui pointe du doigt » les faiblesses d’un système. Par conséquent, elle est le plus souvent dans la ligne de mire du pouvoir temporel mis en place.

Des covents wicca organisés comme groupe philosophique et religieux aux sorcières modernes en vogue sur les réseaux sociaux, un mouvement politique du nom Witch Bloc ressort des profondeurs des abysses avec son slogan mondialement connu « Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler. ». Des femmes, se disant sorcières, qui aujourd’hui partout crient haut et fort leurs besoins d’être respectées et de jouir des mêmes droits que ceux des hommes. Il s’agit aussi d’un cri d’aides pour les minorités, le combat étant de donner l’égalité à tous êtres vivants, si l’on va plus loin dans la logique anti-raciste et anti-spéciste. En bref, une soif de liberté et d’égalité qui fusionnent avec la nécessité écologique d’un changement de système économique, politique et philosophique pour l’ensemble de l’humanité.

Les sorcières, donc ? Des femmes insoumises, marginales, qui ne souhaitaient qu’une chose : décider par elles-mêmes et sortir des dictas d’une société trop patriarcale, trop sexiste, trop injuste pour cela soit à leur convenance. Elle est passée d’une icône diabolique issue d’une morale cléricale à une icône du féminisme moderne, assumée et sexy si elle le souhaite, une femme forte dotée de puissants dons, indépendante et responsable de sa vie. Au lieu d’être chassée à cause de son savoir, ses connaissances et de son charisme perçus comme maléfiques dans une société où la femme n’avait que peu de place et de droits. Elle apparaît dans nos sociétés modernes comme une personne de pouvoir et d’influence, défenderesse des femmes et de la vie en général qui s’élève au dessus des discriminations et du sexisme de par sa communion avec la nature entière. La sorcière hante les productions artistiques et culturelles mondiales car son symbole est fort et véhicule un message politique et philosophique qui est et sera toujours d’actualité. Une femme insoumise qui peut se mettre en valeur, agir sur son destin et sa place dans la société, voilà le personnage iconique de la sorcière moderne. L’évolution dans le temps de l’image de la sorcière va de paire avec son utilisation comme élément culturel de la consommation mondiale notamment dans les jeux vidéo et dans les œuvres audiovisuelles fantastiques. Devenue ainsi un objet de consommation, une figure d’une pop culture hyper-mondialisée, la sorcière se retrouve malgré elle un élément industrialisé suivant une logique capitaliste de surconsommation : une mode permettant de vendre à tout-va des produits dérivés witchy aux plus offrant·e·s. Ainsi vont le système capitaliste, et la logique économique libérale. Des formations sorcellerie en passant par les médecines douces et l’envolée des pseudos méthodes de méditations au quatre coins du monde, l’étrange, la magie et le bien-être paient. The Love Witch dépeint à la perfection cette féminité perturbée, sauvage et individualisée soumise à de nombreux paradoxes. Marginale et psycho, la sorcière est à l’effigie de la femme moderne : multiple dans son image.

Bibliographie

La Sorcellerie en Alsace, 1988, de Rodolphe Reuss

Procès de Sorcellerie, 2016, de Jacques Roehrig

La Sorcellerie, 2004, de Lionel Obadia

Le Musée des Sorcières, 2020, de Catherine Clément

Sorcières, Salopes, Féministes, 2020 de Kristen J. Sollée


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