Voilà plus de sept cents ans, à Dan-no-ura, sur le détroit de Shimonoseki, se déroula l’ultime bataille opposant le clan des Heike, parfois appelé Taira, et celui des Genji, ou Minamoto. En fin de compte les Heike perdirent à jamais – guerriers, femmes, enfants et même le futur empereur dont on parle à présent sous le nom d’Antoku Tennô. Des fantômes hantent donc la mer et les rivages depuis sept cents ans… De l’histoire tragique du clan des Heike à la rencontre inattendue entre le jeune Minokichi et la terrible Yuki Onna, c’est au travers d’histoires étranges que Lafcadio Hearn nous fait découvrir le Japon. Esprits tourmentés, malveillants ou bienveillants, hantises, amours éternels, réincarnations, malédictions, légendes ancestrales… Kwaidan est une lecture fantastique.
Kwaidan, littérature de l’étrange
En 1904, à Tokyo au Japon, Lafcadio Hearn commence la rédaction de Kwaidan – dont la traduction serait « Histoires singulières ». Si ce livre restera à jamais inachevé, il n’en demeure pas moins un chef-d’œuvre. Ce merveilleux ouvrage renferme dix-sept histoires et légendes, prenant la forme de nouvelles, ainsi que trois études sur les insectes – qui tiennent souvent une place importantes dans les récits de l’étrange. Si ces dernières sont le fruit des analyses et recherches de l’auteur, les récits et légendes proviennent tous d’anciens textes japonais ou de traditions orales japonaises habilement retranscrits par la plume de Lafcadio Hearn. La plupart des récits sont d’origine japonaise, mais certains prennent racine dans la culture chinoise. On trouvera ainsi la présence de plusieurs yôkai tels que rokurokubi – « tête volante » – ou yuki onna – la « femme des neiges » –, illustrant merveilleusement les légendes japonaises, et la présence de papillons, si présents dans les histoires chinoises.
Des flocons de neige qui tombaient sur ses joues l’éveillèrent. Quelqu’un avait forcé la porte et, à la lumière de la neige, il entrevit une femme – une femme toute de blanc vêtue. Penchée sur Mosaku, elle soufflait son haleine vers son visage – on aurait juré une fumée blanche et scintillante. Puis elle se tourna du côté de Minokichi et se baissa vers lui. Il tenta de crier, mais ne pouvait émettre le moindre son. Le visage de la femme s’approcha, plus bas, plus bas encore, jusqu’à effleurer presque celui du jeune homme. Il vit alors combien elle était superbe, même si ses yeux l’effrayaient.
L’édition dont il est question ici est enrichie d’une introduction retraçant la vie de l’illustre auteur de ce texte, de même elle comporte une postface de Jacques Finné – le traducteur – consacrée aux fantômes extrême-orientaux. Malgré l’absence d’illustrations, elle reste un très bel écrin pour ce texte magique.
Lafcadio Hearn et Kwaidan
Né en 1850 sur l’île grecque de Leucade, Lafcadio Hearn a connu une destinée hors du commun. Issu d’une famille multiculturelle – sa mère est grecque et son père irlandais – Lafacadio Hearn quitte rapidement les Îles Ioniennes qui l’ont vu naître pour l’Irlande, où il ne restera finalement que peu de temps. Après avoir vécu au Pays de Galles, en France – où il perd d’ailleurs son œil gauche – et à Londres, c’est sans-le-sou qu’il se dirige vers les États-Unis où il vivra dans une misère noire avant de trouver un emploi comme correcteur, puis en tant que reporter pour le Cincinnati Daily. Il perd son emploi suite à son union avec une femme noire – illégale à l’époque – et se dirige, une fois son divorce prononcé, vers la Nouvelle Orléans où il vivra dix ans et développera ses talents d’écrivain et de traducteur ainsi que son intérêt pour la culture créole. Il y publie plusieurs ouvrages notamment Quelques fantômes chinois, six récits venus d’Extrême-Orient. Lafcadio Hearn déménage ensuite en Martinique, où il vit deux années heureuses, avant de repartir pour New-York, Philadelphie puis d’accepter une invitation au Japon, en 1890. Là, il tombe amoureux de la culture nippone, épouse une Japonaise, prend la nationalité japonaise et le nom de Koizumi Yakumo, devient père de quatre enfants, professeur de littérature anglophone et publie plusieurs livres. C’est son ouvrage inachevé Kwaidan qui lui apporte finalement la renommée internationale et inspirera notamment un film sorti en 1964. Il trouve la mort au Japon en 1904.
Article by Astra
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