The Secret : la fin et les moyens

« Chaque année, aux États-Unis, 800 000 enfants sont portés disparus, presque tous sont retrouvés dans les jours qui suivent. 1000 ne sont jamais retrouvés… »

C’est par ce carton inaugural que s’ouvre The Secret aka The Tall Man, troisième long-métrage du cinéaste Pascal Laugier. Après avoir fait ses armes en 2001 en réalisant l’excellent making of (l’un des meilleurs) de Le Pacte des loups, Laugier réalise son premier film avec l’intéressant mais bancal Saint Ange en 2004, avant de signer quatre ans plus tard le traumatisant et inoubliable Martyrs, dont les stigmates sont toujours gravés dans l’âme et le cœur du public. C’est en 2012 que le réalisateur pose ses caméras sur les terres canadiennes pour y tourner The Secret, œuvre fortement imprégnée de l’influence de Stephen King. Mais pas que.

La force du cinéma de Pascal Laugier réside notamment dans sa capacité à utiliser le genre pour développer des thématiques extrêmement fortes et universelles. Comment supporter la violence du monde (Martyrs) ? Peut-on échapper à la réalité (Ghostland) ? The Secret ne fait pas exception à la règle et contribue à parfaire les contours des obsessions du cinéaste qui semble film après film travaillé par les motifs de la dureté, du cynisme et de la violence de la société contemporaine et de la manière dont ils s’exercent sur l’individu. Est-il possible de s’y soustraire ? Comment y faire face ? De quelle manière accéder au bonheur ? Autant de thématiques passionnantes que Pascal Laugier développe au sein de sa filmographie, suscitant une réflexion salutaire chez le public.

L’intrigue de ce métrage prend place à Cold Rock, ancienne ville autrefois riche et prospère mais tombée dans la misère et la pauvreté après la fermeture des nombreuses mines qui faisaient vivre la communauté. Dès lors, des enfants disparaissent mystérieusement sans laisser de traces, la rumeur évoquant un mystérieux personnage nommé The Tall Man qui serait à l’origine des enlèvements. Un postulat passionnant en soi, que Laugier va conduire vers une issue que l’on ne dévoilera pas ici, mais qui remettra en cause le « simple » argument de départ en le faisant résonner avec des considérations sociales très fortes, suscitant chez le spectateur et la spectatrice un véritable cas de conscience quant aux motivations qui gouvernent aux enlèvements des enfants.

Ces motivations, qu’il serait criminel de dévoiler ici pour quiconque n’aurait pas encore découvert le film, interrogent sur la notion de bien et les façons de le prodiguer. En d’autres termes : le bien peut-il autoriser à faire le mal ? Ou encore : la fin justifie-t-elle les moyens ? En posant ces questions, tout en les rattachant à une réflexion sur le déterminisme social, le cinéaste propose une œuvre d’une profondeur thématique remarquable sous les atours d’un thriller palpitant dont l’intelligence de la mise en scène n’a d’égales que la limpidité et l’efficacité de sa narration.

À ce titre, le générique d’ouverture, en incrustant les crédits à l’intérieur même du paysage (à l’image du Panic Room de David Fincher), est fort de sens en signifiant l’enfermement des personnages à l’intérieur de leur condition, de leur misère, de leur pauvreté. Le statut social et psychologique des protagonistes est ainsi posé dès le départ, et la suite du métrage développera cet argument inaugural et interrogera sur la manière d’y échapper. Par ailleurs, comme déjà évoqué dans ces lignes, l’atmosphère du film et la peinture de personnages modestes confrontés à un évènement extraordinaire témoignent de l’influence de Stephen King, revendiquée par le cinéaste. La petite ville de Cold Rock fait ainsi furieusement penser aux bourgades imaginaires de Derry et de Castle Rock dans lesquelles l’écrivain a ancré plusieurs de ses romans.

D’une réelle qualité plastique (il faut souligner ici la très belle photographie du chef opérateur Kamal Derkaoui), ponctuée de plans séquences et de travellings somptueux, usant de nombreuses vues aériennes (le regard de Dieu ?), The Secret s’affirme également par la qualité de ses comédien·ne·s. Outre Jessica Biel (également productrice exécutive sur le film), parfaite en personnage ambigu, c’est la surprenante Jodelle Ferland (Tideland, Silent Hill), qui emporte la mise dans le rôle de Jenny, chacune de ses apparitions à l’écran fonctionnant comme un aimant sur le public.

C’est enfin son personnage qui, dans l’ultime plan du film brisant le quatrième mur, s’adressera au public face caméra et fera basculer, vaciller et se fracturer l’idéologie du Tall Man, nous amenant à nous interroger sur la question centrale du film, véritable substrat du récit : jusqu’où peut-on aller pour faire le bien ? Question captivante s’il en est, pour un film qui ne l’est pas moins.


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