Il y a trois ou quatre mois de cela, j’ai vu apparaître sur mon compte (Instagram) une nouvelle espèce d’abonné·e·s.
Des artistes, des dessinateurs et dessinatrices très doué·e·s ayant peu d’abonné·e·s, très peu de likes malgré la qualité de leurs œuvres.
Puis en quelques semaines ces artistes se sont multiplié·e·s comme des lapins.
Devant la déferlante d’images plus ou moins semblables sur mon fil d’actualité, j’ai d’abord cru qu’un nouveau logiciel du type Photoshop ou Procreate ultra perfectionné était sorti…
Il m’a fallu quelques jours pour me rendre compte que les dessins digitaux que je pensais réalisés par des surdoué·e·s de la tablette graphique, étaient en réalité générés par des intelligences artificielles.
Ils l’avaient fait… il fallait s’y attendre, rien ne nous serait épargné…
Qu’est-ce qui est primordial ?
Qu’est-ce qui rend supportable notre existence ? Qu’est-ce qui l’embellit ?
Trois choses :
La beauté du monde, l’amour et l’art.
1 – La beauté du monde.
L’infinie splendeur de la Terre et de l’univers qui nous entoure.
Celle des océans de la Voie lactée, des couchers de soleil.
Les premières fleurs du printemps…
Le bleu du ciel qui scintille au travers du feuillage d’un arbre, ce saule au bord d’une rivière sous lequel tu t’allonges…
La caresse du vent, une pluie d’orage en été…
des millions d’autres choses, fragiles, imperceptibles, entêtantes pour celui ou celle qui les voient, pour qui contemple.
Des détails microscopiques, la nébuleuse de la Carène… Vénus, première à éclairer la nuit…
Tout cela était là avant nous et il est rassurant d’imaginer que tout perdurera bien après notre passage.
Mais si l’éternité relative vaut pour les galaxies, la fin précipitée de notre mère la Terre est annoncée.
Un matricide, le saccage de l’éden, une apocalypse sans pluie de sauterelles mais avec pluies acides et gaz carbonique sur thermostat dix au festin sont prévus dans les années qui viennent.
Un continent de plastique flottant à la dérive sur une mer irradiée…
2 – L’amour.
Au début était le verbe ?
C’est faux ! Au début était le sentiment.
Le sentiment a provoqué le verbe et le premier des sentiments qui nous a fait passer de primates à humain·e·s, fut très certainement l’amour.
Et depuis que Cupidon décoche ses flèches, l’humanité se dépatouille comme elle peut pour tenter de mettre en mots ce qui la consume, la nourrit, l’aveugle, la détruit ou fait de sa vie un miracle.
Malheureusement, l’amour se fait vieux et le verbe aimer fait partie de ces anciens verbes qui se vident de leur sens à force d’être employés à tort et à raison par tout le monde et n’importe qui.
Le sentiment s’étiole, le verbe est galvaudé ou peut-être est-ce l’inverse ?
On insulte la providence, on badine avec l’amour et celui-ci devient peu à peu un produit de consommation comme un autre.
On le monnaye, on change d’amour comme on change de téléphone portable, de sextoy pour un nouveau modèle… plus pratique.
On ne construit plus à deux, on ne se bat pas pour consolider, on détruit tout ça va plus vite, du passé faisons table rase.
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, même si celle-ci pue le mauvais alcool, que le sentiment est frelaté et le verbe avili.
Alors que nous reste-t-il ?
Et bien la seule chose essentielle que l’humanité ait inventée :
3 – L’art !
Selon les dernières découvertes, il y a 42 000 ans, l’un de nos très vieux ancêtres à inventer l’art en peignant sur les murs de sa grotte.
Et depuis des millions d’autres humains ont tenté par le biais de leur art d’apporter plus de beauté au monde qui les avait vu naître, de donner du sens à leur vie, de s’exprimer, en dessinant, en peignant, en sculptant, en photographiant, en inventant des musiques, en écrivant… etc.
Le point commun de toutes ces œuvres, ce qui les unit toutes, du plafond de la chapelle Sixtine peint par Michel-Ange au graffiti gribouillé sur la porte des chiottes d’un bistrot, ce n’est pas sa qualité bien sûr, mais c’est son intention.
Derrière chaque œuvre d’art créée par l’être humain, il y a l’intention de celui-ci.
Même si elle est parfois difficile à comprendre, même si elle est lamentable ou inconsciente, elle existe toujours !
Or, qu’elle est l’intention d’une intelligence artificielle ? Où se situe sa part d’humanité ?
Ne cherchez pas, elle n’en est pas dotée.
Par définition il n’y a ni intention ni humanité dans une IA.
Même le plus con des artistes, le plus minable d’entre eux, possède, en théorie, au moins un neurone en état de fonctionnement qui lui permet d’agir, de décider de ce qu’il veut représenter, créer.
L’IA elle, est un outil informatique qui imite les humain·e·s.
Les IA destinées à « créer » de l’art n’ont rien à voir avec des améliorations technologiques telles que peuvent l’être des nouvelles générations de caméras, de logiciels de dessins.
Ces outils là ne « génèrent pas », les artistes les utilisent exactement de la même manière que le premier artiste utilisa son pinceau rudimentaire au fond de sa grotte préhistorique.
Que je dessine à la plume ou à la souris, je suis le seul à créer, à retranscrire par mes gestes mon intention artistique.
Alors que si je dicte une suite de mots à une IA, celle-ci se contentera de chercher dans sa base de données ce qui se rapprochera au mieux de cette dite liste.
Elle me pondra un mix certes souvent « joli » mais dénué totalement d’émotion, d’attention et donc d’humanité.
Que l’on s’amuse à tester les IA à des fins personnelles, pour rigoler, pour voir quelle tête nous fera la machine ne me gêne pas.
Mais qu’on se dise artiste parce qu’on dicte une liste de mots et qu’on en fasse commerce, je ne peux le supporter.
Mais il y a pire encore.
Il m’arrive en épluchant certains comptes ou pages « d’artistes » « à l’ancienne » de constater qu’iels partagent ou promotionnent des « œuvres » générées par l’IA…
Pauvre lombric, qu’as-tu donc dans la boîte crânienne en guise de cervelle ?
L’IA c’est l’uniformisation de la pensée, de la beauté, c’est l’autodafé 2.0, c’est la mort de l’Art et la mort de l’Art c’est la fin de l’humanité !
Il y a quelques semaines de cela je lisais La Route, le roman de Cormac McCarthy, un chef-d’œuvre, mais aussi un livre d’une infinie tristesse.
L’histoire se passe dans un monde post-apocalyptique.
On y suit l’errance d’un homme et de son fils sur une terre ravagée, une histoire de survie où chaque pas peut entraîner la mort.
Il n’est jamais dit ce qui a provoqué la fin du monde, par quoi cela a commencé .
Une guerre thermonucléaire ? Un astéroïde ?
Un sandwich au pangolin ?
Une puce électronique qu’on se fait poser sous la peau afin d’avoir un accès plus rapide à la cantine de sa startup ?
Ou bien par une intelligence artificielle créée pour ceux et celles qui n’en n’ont pas ?
De ma vie je n’avais jamais ressenti une telle mélancolie en lisant un livre, une telle désespérance.
Je me suis interrogé sur ce ressenti, à quoi était-t-il dû ?
Certes l’histoire n’est pas drôle, et magnifiquement écrite .
On y croise l’horreur, l’indicible parfois… mais ce n’est pas ça.
La tristesse est provoquée par ce que cette histoire raconte.
Ce livre décrit avec une justesse infinie ce qui nous attend.
À jouer avec le feu, à tout détruire, planète, amour et art, l’humanité ne sera bientôt qu’un souvenir.
Sur la route, il n’y a plus de beauté, ciel, mer et terre se confondent englués par la neige grisâtre d’un hiver éternel.
Sur la route on abandonne l’ultime photo d’un amour disparu afin de cesser d’en souffrir.
Sur la route, il n’y a plus de faune, plus de flore, plus d’art et les gardien·ne·s du feu regardent heure après heure la flamme vaciller, l’humanité s’éteindre.
Les dernières lignes du livre disent ceci :
« Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes.
On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d’ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l’eau.
Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main.
Lisses et musclées et élastiques.
Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir.
Des cartes et des labyrinthes.
D’une chose qu’on ne pourrait pas refaire.
Ni réparer.
Dans les vals profonds qu’elles habitaient, toutes choses étaient plus anciennes que l’homme et leur murmure était mystère. »
Piouzzz Art
forza cosi tovaritch, amidgi, rouïa ! 🙂
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