Knock at the Cabin : la fin des temps ?

M. Night Shyamalan fait incontestablement partie des cinéastes contemporain·e·s les plus sincères, intègres et passionnant·e·s de sa génération. Tissant film après film une filmographie d’une cohérence rare (exceptions faites du Dernier Maître de l’air (2010) et de After Earth (2013) qu’il regrette aujourd’hui d’avoir tournés), le réalisateur de La Jeune fille de l’eau (2006) développe des thématiques partant de l’individuel pour toucher à l’universel. Parmi elles, le motif de la foi imprègne la quasi-totalité de son œuvre, trouvant son acmé dans l’un de ses plus beaux longs-métrages, Signes (2002). Avec Knock at the Cabin (2023), le metteur en scène parvient à creuser encore un peu plus ce sillon en nous offrant son meilleur film depuis… Signes.

L’argument de Knock at the Cabin prend place dans un chalet au milieu des bois dans le New Jersey. Un couple formé par Eric (Jonathan Groff) et Andrew (Ben Aldridge) y passe des vacances avec leur fille adoptive Wen (Kristen Qui). Un jour, un inconnu, Leonard (Dave Bautista), rapidement rejoint par trois autres individus, pénètre dans le chalet et annonce à la famille désormais séquestrée qu’elle doit sacrifier l’un·e de ses membres. À défaut, ce sera la fin du monde. Survivalistes ? Illuminé·e·s faisant partie d’une secte ? Véritables anti-cavaliers de l’Apocalypse ? Leur gentillesse et leur amabilité n’ayant d’égale que la foi qu’iels ont en leur mission, les convictions de leurs « hôtes » vont progressivement vaciller.

Pour tout·e cinéaste qui se respecte, le premier plan d’un film revêt une importance capitale. Parce qu’il renferme l’amorce de la démarche du metteur en scène, qu’il contient un indice capital ou qu’il annonce les évènements à venir, le premier plan représente d’une certaine manière, et en schématisant, une véritable note d’intention. Shyamalan en est conscient, et Knock at the Cabin ne fait pas exception à cette règle d’airain. En ouvrant son film sur une sauterelle, le metteur en scène renvoie de toute évidence à la huitième plaie d’Égypte et à la menace de l’Apocalypse qui sous-tendra tout le film. Nonobstant la métaphore que représentera plus tard l’utilisation que fera la petite Wen de ces sauterelles, le réalisateur place d’emblée son film sous le motif de la menace divine. Le ton est donné, la suite du métrage le confirmera.

Pour sauver le monde, le couple devra donc faire un choix impossible : sacrifier volontairement l’un·e des trois membres de sa famille. Unis par un amour extrêmement pur et fort, Eric et Andrew ont vécu des évènements personnels (agression et discriminations homophobes) qui ont renforcé les liens qui les unissent entre eux et à leur petite fille. Le choix de mettre en scène une famille homoparentale est ainsi motivé par la volonté d’évoquer le parcours douloureux et discriminatoire qu’Eric et Andrew ont vécu par le passé et les épreuves qu’ils ont dû affronter pour adopter Wen. En résulte un amour mutuel inconditionnel auquel même la menace de la fin du monde ne saurait mettre fin.

Fidèle à ses habitudes, le metteur en scène part donc d’un microcosme (ici une famille, un lieu clos) pour développer des thématiques qui toucheront au macrocosme (la collectivité, le monde entier). D’une part, le motif de la foi travaille tout le métrage : en quoi doit-on croire ? Faut-il remettre nos croyances en question ? Notre foi doit-elle l’emporter sur des évènements qui la font vaciller ? Sur ce terrain, Shyamalan a toujours su nous interroger sur notre rapport à la foi (Incassable, Signes, Le Village ou encore La Jeune Fille de l’eau sont là pour en attester). Knock at the Cabin creuse encore un peu plus ce sillon et pousse le curseur vers le point de convergence avec l’autre grande thématique du film : l’intérêt individuel face à l’intérêt commun.

Et c’est là que se trouve le cœur de Knock at the Cabin. L’intérêt individuel doit-il primer sur l’intérêt collectif ? En d’autres termes, et la métaphore est limpide, notre égoïsme ne risque-t-il pas à terme d’entraîner la fin de l’humanité ? Shyamalan parvient avec finesse à traduire cette idée que nous sommes toutes et tous lié·e·s par un bien et un intérêt commun, et que notre individualisme et notre égoïsme pourraient bien nous mener à notre perte. Ainsi, au fur et à mesure qu’ils assistent via leur écran de télévision aux catastrophes découlant de leur choix, Eric et Andrew prennent petit à petit conscience de cette possibilité. À ce titre, les images des fléaux s’abattant sur la Terre possèdent une force d’évocation rarement ressentie au cinéma (l’incroyable scène des avions restera longtemps imprimée sur notre rétine).

Installant un suspense et instillant une réflexion avec un sens du rythme et du cadrage dont lui seul a le secret, Shyamalan s’emploie à s’adresser à son public en le plaçant face à ses propres croyances et convictions. En résulte une prise de conscience d’une très grande justesse et d’une profondeur dont la puissance d’impact n’a d’égale que la finesse avec laquelle elle est amenée. L’on ressort ainsi de la projection en proie à des questionnements que seul·e·s les grand·e·s cinéastes parviennent à susciter. Avec Knock at the Cabin, M. Night Shyamalan donne ainsi corps à ce qu’écrivait Theodore Roszak à propos du cinéma dans son roman La Conspiration des ténèbres : « soit il bouge pour raconter la vérité humaine, soit c’est seulement de la poudre aux yeux ». Shyamalan a clairement choisi son camp.


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