Adapté de la très courte nouvelle The Prize of Peril (1958) de l’auteur de science-fiction Robert Sheckley, Le Prix du danger sort sur les écrans français en 1983, soit presque 20 ans avant que ne soit diffusée sur TF1 l’émission Loft Story qui lança la première vague de télé-réalité dont les rejetons plus abrutissants et débilitants les uns que les autres pullulent encore aujourd’hui. Affirmer dès lors que le film de Yves Boisset fut visionnaire est un doux euphémisme, Nostradamus lui-même devant se mordre les doigts de n’avoir pas vu venir l’un des fléaux sociétaux les plus navrants de la double décennie qui vient de s’écouler.

Cinéaste de gauche mettant en scène des sujets engagés (la guerre d’Algérie dans R.A.S, le racisme ordinaire dans Dupont Lajoie ou encore les liens entre justice et politique dans Le Juge Fayard dit « le Shériff »), Yves Boisset ne pouvait qu’être intéressé par l’histoire de ce chômeur qui décide de participer à une émission de télévision intitulée Le Prix du danger, au cours de laquelle un groupe composé de quatre hommes et d’une femme est chargé de l’éliminer avant qu’il ne parvienne à rejoindre le studio et à empocher 1 million de dollars.
Imaginant la dérive des médias (en l’occurrence de la télévision) avec une incroyable prescience, Le Prix du danger fait aujourd’hui figure de quasi documentaire tant la justesse de sa peinture du divertissement de masse n’a d’égale que l’acuité avec laquelle il pointe le cynisme de ses dirigeant·e·s. La créatrice du jeu et son producteur, respectivement interprété·e·s par les regretté·e·s Marie-France Pisier et Bruno Cremer, misent ainsi sur les plus bas instincts du public (le voyeurisme en tête) pour faire exploser les parts de marché en mettant en scène la mort d’un innocent certes volontaire mais dans un jeu totalement truqué.
Dans le rôle de la proie, Gérard Lanvin incarne un personnage initialement destiné à Patrick Dewaere, qui mit malheureusement fin à ses jours en 1982. Prêt à tout pour se sortir de sa condition de chômeur, il compte bien remporter le pactole en étant le premier candidat à gagner le « jeu ». Il découvrira petit à petit les rouages qui sous-tendent l’émission et les bassesses que les dirigeant·e·s de la chaîne CTV sont prêt·e·s à commettre pour faire de l’audience. Dans sa biographie (La Vie est un choix aux éditions Plon), Yves Boisset écrira d’ailleurs que son film est devenu ni plus ni moins qu’un documentaire sur TF1. On ne peut que lui donner raison.
Dans un même geste dénonciateur qui renvoie dos à dos chaînes de télévision et public, le cinéaste pointe du doigt les dérives des instincts les plus vils de l’être humain. Se défendant d’ériger la mort en spectacle, le personnage de Bruno Cremer affirmera au contraire que la violence de son jeu permet d’exorciser la violence du public, et ainsi de les empêcher de passer à l’acte. Le cynisme est total, la charge de Boisset sans pitié et le constat sans appel : c’est un retour aux jeux du cirque.
Impossible par ailleurs de passer outre l’interprétation de Michel Piccoli dans le rôle du présentateur de l’émission. Mielleux, hypocrite et d’un cynisme achevé, il stigmatise l’image proprette d’une entreprise dégueulasse prête à toutes les ignominies pour gagner de l’argent, incarnant la vitrine bien propre d’un magasin de saloperies. Boisset dira d’ailleurs que le présentateur star Michel Drucker s’était senti visé par ce personnage, alors que le réalisateur ne pensait pas du tout à lui (mais à Léon Zitrone) pour l’écriture du protagoniste.
Géographiquement, le film se déroule dans un état indéterminé à l’architecture à la fois futuriste et actuelle, où l’on paie en dollars mais on parle en français, ajoutant au caractère universel du propos. Des décors froids, urbains, déshumanisés, que le metteur en scène dénicha en Yougoslavie et qui servent à merveille le propos désenchanté du long-métrage.
Enfin, pour la petite histoire, Yves Boisset assigna plus tard en justice la production de Running Man (1987), avec Arnold Schwarzenegger dans le rôle titre, pour plagiat, tant le film de Paul Michael Glaser, bien qu’adapté d’un roman de Richard Bachman alias Stephen King, entretient des ressemblances plus que troublantes avec Le Prix du danger. Au terme d’un combat juridique extrêmement long et fastidieux, le réalisateur français obtint finalement gain de cause.
Avec Le Prix du danger, Yves Boisset proposait donc un film totalement visionnaire, qui n’a pas pris une ride mais annonçait au contraire la dégénérescence toujours actuelle de la télévision, instrument redoutable d’abêtissement (et donc de contrôle) des masses. D’affirmer que la réalité est en passe de rattraper la fiction, il n’y a qu’un pas que l’auteur de ces lignes franchit allègrement. Œuvre d’anticipation phare des années 80, Le Prix du danger est à voir (et revoir) sur la plateforme de SVOD Shadowz.
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