Dans la lignée de La Caverne de la rose d’or (mini-série fantasy italienne initiée en 1991), La Légende d’Aliséa aka Sorellina e il principe del sogno (Lamberto Bava et Andrea Piazzesi, 1996) se présente comme une sorte de conte médiéval fantastique parfait à regarder pour les longues nuits d’hiver !

Aliséa est une jeune femme, bienveillante et positive, vivant avec ses quatre petits frères et sa mère malade dans une forêt enchantée. Tandis qu’elle veille au bien-être de sa famille en s’occupant de toutes les tâches nécessaires à leur survie, Aliséa offre l’hospitalité à un vieil homme, toquant à sa porte un soir d’orage. L’étrange vieillard se révèle être un sorcier cruel qui en veut à la jeunesse et à la beauté de cette jeune femme courageuse. Le sorcier Azaret (interprété par Christopher Lee) tente d’acheter Aliséa auprès de sa mère qui la défend sauvagement, et finit par capturer les enfants de la famille. La pauvre mère affaiblie par la maladie ne survivra pas à cette peine et Aliséa lui fera la promesse de les retrouver sains et saufs avant son dernier souffle.
En parallèle à la vie quotidienne et recluse d’Aliséa, nous suivons l’histoire du violent roi Kurdok, de son épouse (qui n’est qu’en vérité un trophée de guerre), et de son fils, Damien, artiste et poète qui ne convient pas à l’idéal de masculinité de son père. Malgré le soutien de sa mère, Damien se voit contraint à réaliser « des activités d’homme » après que son père ait brutalement détruit son instrument fétiche. Encouragé par sa mère, la reine Diomira, qui ne souhaite pas que son enfant vive sous le joug bestial de son époux, le jeune prince prend la fuite avec une troupe d’artistes.
Dans l’espoir de délivrer ses petits frères, notre protagoniste principale se propose alors comme servante à la demeure d’Azaret. Elle use alors d’une potion de sommeil qu’elle glisse dans la soupe avant de la servir au maître du château. Lors de leur fuite, Aliséa fera la rencontre de Damien. Un amour profond naît entre les deux jeunes gens qui se jurent alors un amour éternel. Ce prologue riche en émotions pose les bases de La Légende d’Aliséa et nous propulse ensuite sept années plus tard. Un temps durant lequel Aliséa devient l’esclave du sorcier afin de libérer ses frères à nouveau enfermés dans les cachots du sorcier, et pendant lequel Damien, rattrapé par les soldats du royaume, obéit à son père dans le but d’affranchir sa mère de la violence de son époux. Leur amour perdure alors grâce aux rêves dans lesquels iels se retrouvent chaque nuit…
D’une atmosphère onirique passant d’un vieux chêne balbutiant à un soulier plutôt bavard (et assez flippant d’ailleurs) aux maléfices en tous genres, ce métrage transporte son public dans un monde imaginaire mélangé à des discours poignants sur la masculinité toxique et la violence qui en découle, sur la condition et l’émancipation de la femme (la jeune Aliséa ayant été enlevée pour faire le ménage et la nourriture à Azaret avant qu’elle ne devienne adulte et qu’elle soit contrainte à l’épouser) ainsi que sur la tolérance (avec notamment la mise en scène de marginaux et marginales, faisant office de saltimbanques au service du roi). Les hommes en position de domination (le roi Kurdok et le sorcier Azaret) usent et abusent de leur pouvoir pour soumettre les femmes à leur bon vouloir, cherchant même à reproduire ce schéma toxique en éduquant les plus jeunes hommes à faire de même (l’éducation masculiniste du roi envers son fils, ou encore l’allégorie de la possession de Damien par Azaret causée par la peur de Damien que la jeune femme ne soit plus de ce monde). Le véritable enjeu du roi Krudok étant que son fils soit sans cœur, violent et qu’il se jette tête la première dans la guerre, il appréhende que Damien soit un lâche et non un guerrier. Inversement, les femmes sont présentées comme prisonnières de leur destinée (la mère malade, Aliséa étant obligée de servir son « maître » et la reine Diomira, véritable « meuble » appartenant à son mari et qui confira d’ailleurs que la seule chose de bien née de son union est son fils, Damien. Tandis que le rôle des protagonistes féminines est axé sur la protection de leur famille (Aliséa acceptant sa soumission pour sauver ses frères et Diomira cherchant à éviter le cauchemar qu’elle a elle-même vécu à son fils) ou sur la bienveillance (l’esprit de la fontaine représentée par une diva blonde à la robe pailletée), les rôles masculins de pouvoir sont impitoyables et tyranniques. Le seul moment de liberté que le couple connaît se réalise lorsqu’iels se retrouvent en compagnie des saltimbanques dans leur caravane colorée. Entouré d’une femme à barbe et d’autres artistes aux caractéristiques physiques diverses et variées, le duo goûte enfin à une paix hors des devoirs et des soumissions de leur destinée, à l’abri des normes et des obligations. Nos personnages épris·e·s de liberté devront faire face à la violence de leur monde, aux intérêts personnels des puissants, afin de faire vivre leur amour. La scène la plus dérangeante de cette œuvre est sans doute celle où Aliséa découvre les anciennes épouses d’Azaret. Elle frôle avec le body horror en nous présentant trois bouches féminines sur le torse du sorcier.

Conscientes, parlantes et aveugles, elles donnent des conseils à la jeune femme pour qu’elle puisse s’échapper mais la supplient également de le tuer afin de les libérer. Lui expliquant qu’il les a traitées en esclaves avant l’âge adulte, le cruel tortionnaire les a ensuite faites « siennes » en se les appropriant corps et âme, une « fusion » toxique au sens littéral qui symbolise à la perfection le viol conjugal. Dévorant leur jeunesse (leur virginité) mais aussi leur liberté de mouvement et de parole, elles ne peuvent s’exprimer que lorsque le sorcier est inconscient, endormi grâce à sa propre potion utilisée malicieusement par la prisonnière. Cette séquence offre une métaphore horrifique de la condition des femmes dans de nombreux pays, et de nombreuses époques, victimes de mariages arrangés ou de violences conjugales. Cette absorption « en lui » qui dénote non seulement d’un conditionnement à la soumission, dévoile la perte d’identité totale des épouses d’Azaret. Elles deviennent ainsi une extension de son propre corps, le cruel sorcier détruit alors toutes échappatoires et possibilités d’émancipation chez ses victimes féminines.
Je ne vous aime pas, s’écrit Aliséa, affolée après l’injonction au mariage d’Azaret.
– Te l’ai-je demandé ?
Consentement mis de côté, le roi ou le sorcier ne connaissent pas l’amour, seulement la domination. Ainsi, ils mourront seuls. Damien et Aliséa retournent le triste schéma qui leur est imposé en découvrant un amour consenti, sain et libre. Face à son mariage imposé, Aliséa se défendra seule en invoquant des forces puissantes, et armée d’un poignard elle attaquera son agresseur. Malheureusement, sa gentillesse l’empêchera de lui enfoncer en plein cœur… La Légende d’Aliséa se dévoile comme une fable médiévale-fantastique sur l’amour et la bienveillance qui se mêle avec brio avec une ambiance fantasmagorique pimentée par des animatronix funky, des décors originaux et des musiques chimériques.
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