L’Échine du Diable, un conte d’horreur

L’Échine du Diable est le troisième long-métrage de Guillermo del Toro.
Ses films sont souvent caractérisés par leur traitement minutieux du genre horrifique. L’Échine du Diable ne fait pas exception à la règle, inspiré par la littérature gothique anglo-saxonne comme Machen ou Sheridan, ou par des films comme La Nuit du Chasseur voire Operation peur pour ses décors.

En Espagne, pendant la guerre civile de 1939, Carlos, un garçon qui vient de perdre son père, arrive à l’oppressant orphelinat catholique Santa Lucía. Il est remis à la directrice, Carmen et au professeur Casares. Mais il doit faire face à l’hostilité de ses camarades et de Jacinto, le gardien. Le lieu hostile cache deux secrets : l’or de la cause républicaine, et le fantôme d’un enfant qui hante le sous-sol.

Comme plus tard, dans Le Labyrinthe de Pan nous suivons deux lignes narratives, un récit horrifique sous fond de fantôme et un drame historique qui fusionne les images de vie et celles de mort. Le regard des enfants, qui voient dans les adultes les images de cauchemars et de mort (la menace franquiste symbolisée par cette bombe enfoncée dans la cour), du fantastique à ce qui le fait naître, la réalité. C’est toute la force du film. Les deux thématiquement et techniquement s’entremêlent.

Gothique ?

Guillermo del Toro dans ses propres termes « a cherché à trouver les racines de l’histoire dans les histoires d’horreur saxonnes, dans l’histoire de fantômes de pur souches gothiques (Casas ; 2004, p. 53).
Le film ne révolutionne pas le genre mais en fait quelque chose de nouveau, un nouveau sens. Il possède également quelques références visuels du cinéma italien 60-70’s, on pense à Les Trois Visages de la peur (1963) de Mario Bava pour les séquences de nuit  ; Le Bon la  brute et le truand (1966) de Sergio Leone et L’Enfer des zombies (1979) de Lucio Fulci pour celles de jour… Ou encore le cinéma gothique que ce soit par le biais de ces fœtus conservés dans des bocaux (coucou la Hammer) ou des décors du film (salle voûtée, dortoir).

Le fantastique n’a pas de réelle séparation entre le physique et le spirituel. Dans le film, les apparitions de Santi sont les éléments surnaturels capables d’agir sur la réalité. Santi est un fantôme capable de laisser des traces de pas et de renverser des cruches. Il agit comme un présage auprès de Carlos. À noter que seuls les enfants de l’orphelinat le considèrent comme tangible. Pour eux, c’est bien une entité réelle. Mais le fantôme est également le symbole d’un destin, d’un pays qui disparaît. Les adultes de Santa Lucía habitent un univers logique et historique, traversé par les nouvelles de l’avancée de Franco sur la Catalogne et de la chute imminente de Madrid. Là, le fantôme n’a qu’un reflet symbolique, Carmen et Casares voient comment leurs idéaux sont en train de mourir et sont remplacés par la violence de Franco. Carlos et les autres enfant vivent le fantastique tandis que Caceres et Carmen suivent les événements du drame historique.

Un autre élément de la littérature gothique est la figure du château : décors reconnaissables, de labyrinthiques couloirs. Que ce soit le manoir dans La Chute de la maison Usher de Edgar Allan Poe) ou le domaine de Les Hauts de Hurlevent (Emily Brontë), on y retrouve même des malédictions, des crimes, des passages secret et des adultères.
L’orphelinat de Santa Lucía est une variante de ce modèle, le bâtiment possède les caractéristique d’une forteresse située dans une plaine dénouée de repère spécial, l’orphelinat est au milieu de rien. Une absence d’environnement et de nature qui donne l’étrangeté du lieu, un fait souligné par le regard de Carlos à son arrivé, typiquement la perception des protagonistes d’œuvre gothique qui pénètrent dans cet espace inconnu pour révéler des secrets. Carlos découvrira, après recherches, des espaces souterrains dans l’orphelinat, là où la présence du fantôme est la plus forte. Ce n’est pas seulement l’endroit où vit Santi mais c’est également l’endroit qui détient les secrets et où le crime a été commis.

Autre lieu, la cour de l’orphelinat, dominée par la bombe inactive larguée au début de la guerre sur l’institution, elle veille sur eux et devient un rappel de tout ce qu’ils ont perdu : le décor devient une métaphore de la situation politique vécue par l’Espagne d’après la guerre civile. Cependant, les enfants sont convaincus qu’elle est vivante, qu’ils peuvent entendre son cœur battre en approchant leur oreille. La bombe est alors personnifiée, Carlos apparaît devant elle et va jusqu’à l’invoquer pour qu’elle l’aide à retrouver Santi, et une rafale de vent arrache l’un des rubans qui s’envole vers la citerne.

Sexualité


Lorsque la relation entre Jacinto et Carmen nous est révélée, une relation qui nous est présentée visuellement et narrativement comme strictement physique, la rencontre est totalement dépourvue d’érotisme. Dès la première image, on voit un gros plan du visage de Jacinto qui se penche sur Carmen, qui détourne le visage et demande à Jacinto de ne pas l’embrasser. Le langage corporel de l’actrice se rapproche de la rencontre de la mécanique du viol. Nous apprenons rapidement que cette relation dure depuis que Jacinto a 17 ans, une sorte de relation sexuello-oedipienne. On apprend également l’existence d’un triangle amoureux avec le Dr Caseres, qui est amoureux de Carmen mais souffre d’impuissance, une situation similaire présente auparavant avec le défunt mari de Carmen, est également révélée. « Même à l’époque, ils s’occupaient de la poésie et moi de la chair », dit Jacinto alors qu’il remet la prothèse de jambe à Carmen. C’est alors que le sens de la scène s’achève lorsque la femme avoue qu’elle ne supporte pas sa prothèse, mais qu’elle en a « besoin pour tenir debout ». Métaphore, bien entendu, que les faveurs sexuelles de Jacinto sont une autre béquille dont Carmen a besoin pour continuer. La scène termine par le retour l’actrice qui se prosterne dans son lit alors que Jacinto la pénètre à nouveau. Un travelling nous emmène au-delà du mur, dans la pièce voisine où Caseres écoute les gémissements de Carmen avec renonciation.

L’histoire de Jacinto et Carmen, dans laquelle s’ajoutent d’autres éléments, tels que le mépris mutuel, une sorte d’inceste. Jacinto est un orphelin élevé à Santa Lucía, mais il déteste son orphelinat et le fait que, même adulte, il soit toujours lié à l’institution. C’est pourquoi il profite de ses rencontres sexuelles avec la directrice pour voler, une à une, les clés de l’orphelinat dans l’espoir de trouver celle ouvrira le coffre où Carmen et Casares cachent l’or des rouges. Violence, rancœur, inceste et ambition.
Jacinto n’est pas un personnage à plaindre, car il est représentant de la violence de Franco. Il est celui qui a tué Santi dans un accès de rage. Ce crime se passe en simultané où les franquistes ont lâché la bombe sur la cour de l’orphelinat. C’est également Jacinto qui organise une attaque contre l’orphelinat, lorsqu’il apprend que Caseres et Carmen ont l’intention d’utiliser l’or pour fuir l’Espagne avec les enfants.
La violence de Jacinto le rapproche de la guerre et de l’avancée du franquisme, le réfléchi Caseres est perçu comme un représentant des idéaux républicains : l’impuissance sexuelle peut être considérée comme un symbole de l’incapacité de la République à contenir l’avancée des idées fascistes.

La vie, la mort & la religion

L’histoire présente deux principaux esprits hantant les vivants : le fantôme métaphorique qu’est la guerre elle-même, qui détruit passé et futur, et le fantôme littéral, Santi, esprit vengeur. Dans l’optique du monstre effrayant mais qui s’avère ne pas être le véritable méchant, Guillermo del Toro brise les règles et révèle le monstre à l’écran très tôt, et a construit son intrigue de manière symétrique, favorisant les rimes (le début et la fin se répondent, deux personnes différentes tombent dans le bassin, Casares se reflète deux fois dans un miroir de façon différente, etc.) associant vie et mort : le bassin plein d’une eau trouble couleur ambre qui peut représenter le liquide amniotique de la vie et qui sert de refuge au fantôme, donc à la mort ; ou encore ces fœtus, symboles de vie, mais conservés morts par le docteur dans ses bocaux.

Coté religion, plusieurs symboles sont présents : comme la pomme récupérée par les enfants, symbole religieux de la connaissance, sauf que ce fruit n’est pas beau et rouge mais marron… Dangereuse, la connaissance de la vérité sur la disparition de Santi, la connaissance de Santi qui sait que « beaucoup vont mourir« . Cette connaissance a des conséquences pour Carlos qui découvrira cet escalier à la configuration rappelant l’enfer et présageant une fin sombre.
Profondément catholique, l’Espagne de 1939 est décrite dans ce métrage qui oscille entre situation politique complexe, relations sociales compliquées, et l’importance de la religion dans le contexte du film. Santi serait le serpent et Carlos une sorte d’Ève qui perdrait son innocence en acquérant la connaissance. D’ailleurs, la scène où les enfants déplacent l’énorme Jésus sur sa croix en ajoutant « he is heavy for a dead man » nous donne une métaphore intéressante du poids de la religion sur les protagonistes.


L’Échine Du Diable est une œuvre pleine d’onirisme, disponible sur la plateforme de screaming Shadowz !

Articles sources :

En espagnol : El espinazo del diablo: un relato de fantasmasen la Guerra Civil Española

En français : Inglorious Cinema , Strange-Movies, Fais pas genre, Espinof


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