Le concept de Le Labyrinthe de Pan était dans un carnet de notes rempli de griffonnages et d’idées depuis vingt ans de Guillermo Del Toro.
L’histoire est une allégorie inspirée par les contes de fées dans laquelle Del Toro explore des thèmes qu’il avait déjà évoqués dans L’Échine du Diable (2001) dont le récit de ce dernier se déroule quelques années auparavant et dont le Labyrinthe peut se présenter comme une suite possible. Le réalisateur n’a pas succombé au tout numérique, la majeure partie des effets spéciaux du film sont mécaniques.

Deux mondes
La trame de Le Labyrinthe de Pan se situe en Espagne, en 1944, une bonne partie du peuple espagnol était soumis à une idéologie autoritaire et ultra-catholique où la faim et la misère représentaient leur quotidien.
Le Labyrinthe de Pan présente deux histoires simultanées, dès la scène d’introduction un univers ténébreux faisant penser à une illustration de la Divine comédie – Enfer de Gustave Doré dans laquelle une voix off nous parle d’une princesse qui vivait il y a très longtemps dans un royaume souterrain et nous lisons « Cachés dans les montagnes, des groupes armés continuent à combattre le régime fasciste. Ce dernier lutte pour les étouffer ». Nous pouvons y voir deux niveaux superposés : celui, réaliste, la violence de l’Histoire et celui, fantastique, la quête initiatique d’Ofelia. Les deux univers sont mis en parallèle tout au long du film et se répondent sans cesse : le réel et l’imaginaire se côtoient sur un même plan tout au long du film, donnant l’impression lorsque le glissement est horizontal de tourner les pages d’un livre. Les stratégies sonores et visuelles structurent les séquences. Le lien qui assure ces passages est le personnage de la petite fille, Ofelia, qui est à la jonction des deux univers : elle doit subir la tyrannie de son beau-père et elle est l’héroïne du conte.
Ofelia, ce choix de prénom n’est pas un hasard, inspiré par le personnage de Shakespeare dans Hamlet : Ophélie (Ophelia), fille de Polonius et sœur de Laërte, est la promise du prince Hamlet. Elle perd la tête après la mort de son père (assassiné par erreur par Hamlet) et sa folie la transforme en un personnage infantile, innocent et tragique. Il s’agit d’une représentation de la féminité, de l’innocence, de l’amour, de la mort… Nous pouvons aussi voir certaines similitudes entre Carmen, la mère d’Ofelia, et la Reine Gertrude ; toutes deux, après être devenues veuves, se remarient avec un homme cruel. Carmen se marie avec le capitaine Vidal, un capitaine au service du franquisme qui se trouve dans une localité des Pyrénées dans le but d’éliminer toute trace de guérilla républicaine.
Ofelia, est une enfant rêveuse, une Alice de Lewis Caroll pour qui le monde des livres contient plus de réalité tangible que le monde d’ici-bas. Guidée par un insecte (un phasme qui ressemble beaucoup à ceux que peignait Dalí dans ses toiles d’Alice aux pays des merveilles) qu’elle prend pour une fée, elle est conduite dans le labyrinthe situé à coté du camp, au milieu duquel elle rencontre un faune. Celui-ci lui raconte qu’elle est une princesse (son père, mort, étant roi de ce royaume souterrain) et que pour parvenir à retrouver ses vrai·e·s parents, elle doit réussir trois terribles épreuves…
Patriarcat et Féminisme
Del Toro cherche à présenter le patriarcat comme négatif et, face à cela, a décidé de louer les vertus de l’univers féminin.
De multiples références visuelles et symboliques se rapportent au corps des femmes et à la féminité (le motif de l’utérus se retrouve dans les dessins du front du faune, la forme de l’arbre, les trompes de Fallope rouges dans le livre). Une autre référence aux cycles de la femme et à la symbolique de la grossesse est que les trois épreuves doivent s’accomplir avant la pleine lune.
Vidal (qui signifie la vie) est la représentation du patriarcat, obsédé dans la répétition de l’Histoire (mouvement de caméra rotatif vers la gauche par deux fois, figure de son père omniprésente, etc.) et donc une transcription de la négation de la vie, le sur place, à la fois porteur et victime de la représentation du temps via la montre de son père, objet hautement symbolique pour son personnage mais aussi pour Del Toro. Vidal est la personnification du patriarcat, associé à des formes droites (rectitude) toujours placées dans des ouvertures de porte, ce protagoniste masculin est régulièrement filmé en contre-plongée pour montrer sa dominance. Personnage misogyne qui n’hésite pas à humilier sa femme enceinte en l’obligeant à se déplacer en chaise roulante, il va couper Ofelia du lien avec sa mère (à l’écran et par coupure de caméra). Vidal, comme le fascisme, est lié à la vision de la mort. Le capitaine Vidal sera le monstre de cette histoire et incarnera toutes les valeurs patriarcales.
Le corps de la femme représente un territoire espagnol malade, de la même façon que Carmen, malade de sa grossesse. Métaphore qui se concrétise lorsque Carmen fragilisée et inquiète, demande à Ofelia de lui raconter une histoire. La jeune fille approche son oreille et entre littéralement dans le ventre de sa mère. Le monde réel de la chambre et le monde imaginaire de l’intérieur du ventre de Carmen se font sur un même plan.
La scène de la mandragore est également emblématique de l’approche féministe. Ofelia se sert de cette plante pour aider sa mère lors de sa grossesse. Elle la met dans un bol avec du lait qui représente le côté maternel.
Mythologie et religion
Le labyrinthe symbolise le territoire de l’au-delà, du monde souterrain : il est un monde retranché du monde, l’autre versant du miroir. Son centre étant le lieu où la magie se concentre, où le portail qui permettrait de rejoindre l’autre monde attend d’être réanimé.
Le faune (qui n’est pas la divinité Pan, les traductions françaises et anglaises du titre du film font référence au dieu des bergers et des troupeaux à l’apparence cornue et aux pieds de bouc mais Del Toro a précisé que ces traductions étaient inexactes et que le faune du film n’avait aucun rapport avec Pan) représente le monde pastoral, le contact avec la nature. Il est le gardien du passage, situé au fond d’un puits. Il se comporte comme un sphinx, un donneur d’énigmes. Cette créature fonctionne comme une connexion entre les deux mondes. Il est intéressant de voir que les attributs du faune, figure païenne de dieux rustiques, serviront à l’Église catholique pour représenter le diable : cornes, pattes de bouc… Or, ce n’est pas un personnage entièrement fiable ni une chimère à abattre.
Le Paleman, le monstre dévoreur d’enfant, il représente la seconde épreuve que doit accomplir Ofelia, mais en désobéissant aux fées ainsi qu’au faune elle réveille le Paleman.
La désobéissance et faire un choix font partie intégrante du conte dont Le Labyrinthe de Pan est la thématique principale. Dans le film, les monstres ne sont pas forcément ceux que l’on croit, le véritable monstre de l’œuvre est bel et bien le capitaine Vidal, capable d’une cruauté sans pareille, il est le croque-mitaine du récit. On peut comparer certaines scènes où Vidal et le Paleman sont liés, notamment avec la scène du banquet (durant laquelle le capitaine Vidal et ses hommes mangent sur une longue table avec de la nourriture abondante) et la scène où le Paleman assis au bout d’un énorme banquet recouvert de divers mets. Le capitaine applique le rationnement pour les paysan·e·s affamé·e·s alors que lui, c’est l’opulence, il se prend pour un empereur, un être tout-puissant, un monstre qui opprime son peuple et qui fait régner la terreur, une incarnation du fascisme. De plus, le Paleman tue comme Vidal en s’attaquant directement à la tête. À ce sujet, Del Toro dit :
« J’ai amblée souhaité qu’il ressemble à quelqu’un d’obèse qui a soudain perdu du poids, dont toutes ses chaires qui pendent autour de lui et qui a besoin de manger des enfants pour se remplumer. Je voulais aussi qu’on voit des stigmates religieux. […] le mal institutionnel se nourrissant des impuissants. »
Del Toro
Pour créer cette créature : Paleman, Del Toro a été influencé par des récits chrétiens comme la légende de Sainte Lucie, une jeune fille sicilienne de Syracuse qui guérit sa mère qui souffrait d’une grave maladie, à force de prières sur la tombe de Sainte Agathe qui selon la légende s’arrache les yeux et les dispose sur un plat et les fait porter à son fiancé. L’autre influence, cette fois-ci picturale, est le tableau de Saturne dévorant un de ses enfants de Goya.
La salle à manger du monstre dispose à la fois de l’aspect d’une église (nef voûtée) avec des tableaux rappelant le chemin de croix et celui d’un camp de concentration (dans un coin, on y voit des centaines de paires de chaussures empilées).
Le numéro 3 : ce chiffre est une constante dans le film (les trois épreuves d’Ofelia, les trois fées, les trois serrures, les trois angles de vue du métrage,…). Il représenterait la divinité dans la mythologie classique (les trois phases de la divinité lunaire, les trois moires, les trois parques). Et, dans la religion chrétienne, on l’associe à Dieu, à la Trinité. Ainsi, Del Toro construit un univers parfait, divin, comme s’il s’agissait d’un mythe.
Conclusion
Le souterrain sera l’innocence de l’enfant, le côté féminin tandis que le monde réel, hostile, douloureux et en guerre, sera associé au côté masculin.
Écrire une analyse quasiment complète (j’ai omis beaucoup de choses, comme le rapport au couleur, au temps) n’était pas un exercice facile.
Le film est une déclaration d’amour à l’imaginaire, vous pouvez découvrir ce métrage onirique sur Shadowz.
Pour aller plus loin :
Selon Guillermo Del Toro, les thèmes principaux du film sont le choix et la désobéissance. Il affirme que le film possède une forte connexion avec L’Échine du Diable et devrait être vu comme une suite informelle traitant de quelques-uns des problèmes qui y sont abordés. D’autres sources d’inspiration sont Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, les Ficciones de Jorge Luis Borges, Le Grand Dieu Pan et The White People d’Arthur Machen, La Petite Fille aux allumettes de Hans Christian Andersen, Le Magicien d’Oz de L.Frank Baum, The Blessing of Pan de Lord Dunsany, Les Livres de Sang de Clive Barker, Le Jardin de Pan d’Algernon Blackwood, Le Monde de Narnia de C.S. Lewis ainsi que l’œuvre Francisco Goya et les illustrations d’Arthur Rackham.
Sources
Voici des vidéos et articles qui m’ont fortement aidé dans ma recherche sur l’analyse du fascisme et des cadrages caméra :
M. Bobine : https://youtu.be/r3UhZlLdrhA
Le CinématoGrapheur : https://youtu.be/Yx4L1_Vu01g
MasterClass Guillermo Del Toro : https://youtu.be/KYxf4Z6wSG8
Le Grand oculaire : https://legrandoculaire.com/2020/11/12/dossier-motifs-occultes-et-alchimiques-cinema-guillermo-del-toro-2020/
Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro (2006), une histoire de regards et de désobéissances : https://books.openedition.org/apu/11636?lang=fr
Cabinet de curiosités : Mes carnets, collections et autres obsessions de Guillermo Del Toro (Huginn & Muninn, 2013)
Voici une analyse riche et remarquable qui risque bien de guider à nouveau mes pas vers ce « labyrinthe » aux circonvolutions étranges et oniriques.
Bravo, et grand merci.
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Bonsoir, merci beaucoup pour ton retour !
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