The House That Jack Built : du portrait d’un serial killer à la moralité de l’Art

Les cercles de l’enfer pour Jack

The House That Jack Built ne fera pas l’unanimité. Tantôt décrit comme un thriller, tantôt comme un film horrifique, ou même une satire. Lars von Trier aborde plusieurs points : L’amour, l’enfance, la famille et coupe son récit par des réflexions artistiques ou philosophiques et tente de capturer l’essence du mal et de réfléchir sur sa représentation.

[SPOILER ALERT]

Nous avons ici un portrait raconté en cinq incidents et une narration quasi en voix off d’un serial killer du nom de Jack (Matt Dillon) qui fait une confession à Verge (Bruno Ganz). Jack est architecte et souhaite construire une maison mais ne trouve pas le bon matériel, mais c’est également un psychopathe narcissique (il se donne lui-même le surnom de Mr Sophistication). Devenu serial killer, il s’essaye à la photographie et commence à envisager son œuvre comme de l’Art. Des questions se posent alors… L’Art a-t-il besoin d’amour pour être légitime ? L’Art peut-il être uniquement basé sur le mal ?


Méditation sur la création

The House That Jack Built est purement autobiographique pour Lars von Tier, le personnage de Jack est comme un double du cinéaste, souvent accusé de misogynie et d’apologie du nazisme. Le portrait de Jack est identifié aux formes du mal radical du nazisme étendu à la pratique parallèle de la chasse et du meurtre en série. Lars, trop amer, revenant sur ce qu’on a pu reprocher par le passé, de ses prises de parole provocantes (ses propos lors de la conférence de presse de Melancholia au Festival de Cannes en 2011) à la violence de certaines images de ses films, avec intégration des extraits d’Antichrist, Melancholia, etc.). Et que cette chute d’un homme aux Enfers pourrait bien être la sienne.

Jack est ce serial killer fait de multiples autres, telle une créature de Frankenstein (des comportements de Bundy, de la chance de Dahmer, les lunettes à grands carreaux de Schaefer), et la comptine d’enfance qui lui est associée (déjà présente dans Element of Crime où il y a la première apparition de Jack) renverrait vers la musique d’Edvard Grieg (Dans l’antre du roi de la montagne) de la pièce de théâtre Peer Gynt (Henrik Ibsen, 1866) ouvrant M. le maudit (1931) de Fritz Lang.

Jack va s’évertuer à nous convaincre tout au long de son discours avec Verge que la mort, la putréfaction et la destruction font partie intégrante de l’Art, et en sont même ses morceaux les plus importants. Nous avons même droit à un florilège de tableaux de natures mortes, de scènes de chasse, de processus de vinification, qui nous montre que l’Occidental·e aime faire du sordide le Beau, contrairement à Verge (Verge, c’est Virgile, auteur de l’Énéide et guide de Dante dans sa Divine Comédie, joué par l’acteur qui dans La Chute interpréta Hitler) qui ne voit dans l’Art que l’expression de l’Amour chrétien.

Sa vision de l’Art n’est pas seulement dévouée aux icônes et repose également sur une compréhension parfois superficielle de l’esthétique (exemple avec le montage accordé à Glenn Gould qui d’après Jack « représente l’Art »), sacrifiée au profit grandeur, comme le montre la reproduction de Dante et Virgile aux Enfers, où le tableau de de la Croix est réduit à ses signes les plus imposants (l’immensité du ciel, la lueur démoniaque, les corps musclés des damné·e·s).

The House That Jack Built joue l’hyper-réalisme dans la représentation de la violence et de son contrecoup donné par sa déconstruction analytique (comme A Clockwork Orange de Kubrick et Funny Games de Haneke) le tueur est ici défini au travers d’une dichotomie.
La bande-son (Fame de David Bowie) complétement décalée traduit parfaitement l’état d’esprit frénétique et euphorique dans lequel on peut se trouver lorsqu’on a tout abandonné pour faire de l’Art. Cette jouissance créatrice et destructrice, tout en même temps.

The House That Jack Built se permet de plonger littéralement dans les tréfonds de l’enfer de Jack/Lars qui tente tant bien que mal de s’échapper. Verge accompagne son Dante au plus profond de la Terre et continue à faire réfléchir le public sur le sens d’une œuvre. Disponible sur Shadowz, ce métrage peut être également vu comme un adieu modeste et discret de Lars.

En 1987, Lars von Trier répondait à la question posée dans le titre du hors-série de Libération
« Pourquoi filmez-vous ? » par la phrase suivante :

« Pour défier Dieu et l’Homme… La raison pour laquelle Frankenstein a créé son monstre. L’excitation due au fait de combiner de quelconques morceaux au rebut et un cerveau de criminel, aux forces de la nature. Le résultat peut ne pas être joli à voir, mais possède une volonté propre et pourrait avoir des conséquences néfastes… et c’est là l’inconvénient .»

Pour aller plus loin, voici des articles intéressants sur le film :


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