En 1986, John Carpenter ressort exsangue de l’échec public de Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin, devenu depuis un incontournable de sa filmographie. Las, désabusé, déprimé, il va alors se lancer dans l’écriture et le tournage de son film le plus sombre à ce jour, Prince des ténèbres (1987), deuxième volet de la trilogie de l’apocalypse qu’il forme avec The Thing (1982) et L’Antre de la folie (1994).
L’histoire nous présente un groupe de jeunes étudiant·e·s en sciences, dépêché·e·s par un prêtre (Donald Pleasance) afin d’étudier un mystérieux cylindre contenant une substance verdâtre s’étant récemment mise en activité dans le sous-sol d’une église, et qui ne contiendrait ni plus ni moins que le fils du Diable.

À partir de ce postulat, Carpenter va développer un propos extrêmement pessimiste sur le devenir de l’espèce humaine à travers une mise en scène qui transcende le manque de moyens alloués au film. Le metteur en scène, coutumier des petits budgets, fait preuve d’une efficacité et d’une force de suggestion redoutablement efficaces (certaines scènes possèdent un pouvoir d’évocation immédiat) afin de proposer une œuvre dont le statut de série B n’a d’égale que l’empreinte indélébile qu’elle imprime dans la mémoire du public.
Fasciné par la figure du mal (voir notamment ses chefs-d’œuvre Halloween (1978) et The Thing pour s’en convaincre), John Carpenter l’a toujours présenté comme une entité à part entière, existant en tant que telle et frappant (Halloween) ou contaminant (The Thing) les personnages de ses films. Se plaçant à l’opposé d’un William Friedkin pour qui le bien et le mal coexistent chez l’individu (L’Exorciste (1973), Sorcerer (1977) ou encore Crusing (1980) sont là pour en attester), Carpenter considère le mal non pas comme une partie constituante de l’individu mais au contraire comme une figure indépendante, tout à la fois fois substrat et ferment, qui frappera (ou pas) les pauvres mortel·le·s que nous sommes.

Dans Prince des ténèbres, le cinéaste poussera cette idée dans ses ultimes retranchements en mettant en scène des étudiant·e·s en sciences chargé·e·s de déterminer l’origine et le comportement physique (au sens scientifique) du mal. Dans l’idée, cela pourrait trouver son équivalence dans la preuve de l’existence physique de Dieu. Idée fascinante s’il en est, elle distillera dans le film de nombreuses scènes proprement glaçantes, malgré une patente économie de moyens financiers.
L’une des autres grandes forces du long-métrage réside dans les mystérieuses visions qui hantent les rêves des protagonistes, ces visions étant en fait des messages du futur résonnant comme un avertissement. Le caractère granuleux de l’image lors de ces séquences, l’étrangeté qui s’en dégage et l’imprécision de ce qui s’y cache, créent un suspense véritablement angoissant qui monte crescendo jusqu’à la révélation finale.
Film d’ambiance, claustrophobe, extrêmement sombre, Prince des ténèbres possède un autre atout très rare, celui de devenir de plus en plus fascinant au fur et à mesure des visionnages. Comme un bon vin, le film prend régulièrement davantage de tenue et de pouvoir de fascination, s’imposant aujourd’hui comme l’un des plus grands films de son auteur.
« Je suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant. »
Cet extrait de l’apocalypse de Saint Jean trouve dans Prince des Ténèbres son exact opposé, en plaçant non pas Dieu mais le Diable à l’origine de tout. Un renversement des croyances que Carpenter nous expose 102 minutes durant, jusqu’à une révélation finale dont le caractère tétanisant n’a pas fini de nous hanter.
Prince des ténèbres est disponible sur la plateforme de SVOD Shadowz !
Votre commentaire