Meurtres sous contrôle : foi et libre-arbitre

« God told me to » (Dieu me l’a ordonné) répond un tireur embusqué en début de métrage au policier qui l’interroge sur les raisons qui l’ont poussé à abattre froidement 15 personnes au fusil depuis le sommet d’un château d’eau. Cette phrase, également titre original du film, porte en son sein le substrat sur lequel sera construit tout le propos du long-métrage. Car avec ce qui est considéré (à raison) comme son meilleur film, le cinéaste Larry Cohen entend éveiller les consciences sur les notions de foi, de religion, de secte et de libre-arbitre.

Retour en arrière. Larry Cohen, pape de la série B, crée en 1967 la série culte Les Envahisseurs, avant de s’illustrer comme réalisateur en mettant en scène en 1973 deux incontournables de la Blaxploitation : Black Ceasar et Hell Up in Harlem. Puis, en 1974, il réalise Le Monstre est vivant, petit classique du cinéma d’horreur. Mais c’est en 1976 que Cohen va écrire, produire et réaliser le perturbant et multi-genres Meurtres sous Contrôle, convoquant drame, policier, science-fiction et fantastique dans un même geste à la fois risqué mais mesuré, témoignant de l’évidente maîtrise de son artisan.

L’argument du film pourrait tenir sur un ticket de métro : des hommes qui ne se connaissent pas se mettent un beau jour à tuer à l’aveugle des innocent·e·s dans les rues de New York. Tous prononceront la même et énigmatique phrase au policier en charge de l’enquête : « Dieu me l’a ordonné ». À partir de ce postulat, Larry Cohen va développer un propos autour de la religion et de son antithèse, les sectes, par petites touches successives qui ébranleront in fine les convictions de son personnage principal, interprété par l’excellent Tony Lo Bianco.

Débutant comme un pur thriller des années 70 avec enquête policière à la clé, le film va doucement intégrer à son histoire des éléments fantastiques et science-fictionnels qu’il serait criminel de dévoiler ici pour celles et ceux qui n’auraient pas encore découvert le long-métrage, jusqu’à une ultime révélation que l’on n’avait pas vu venir et qui retournera comme un gant les convictions que l’on pouvait avoir sur l’un des protagonistes de l’histoire.

Visiblement sensible à la notion de libre choix, Cohen va s’évertuer (et réussir) avec ce film à mettre en lumière le schisme qui sépare les croyant·e·s, avec d’un côté les religions, et de l’autre les sectes, ces dernières retirant bien évidemment tout libre-arbitre à leurs adeptes. Cette notion de privation de libre-arbitre est illustrée par les différents meurtriers du film qui abattent des innocent·e·s, leurs mains étant guidées par une voix leur intimant l’ordre de tuer. À l’inverse, le personnage incarné par Lo Bianco, extrêmement croyant, pratique une religion lui laissant le choix de ses actes.

Loin de ne se cantonner qu’à proposer une réflexion sur la foi et le libre-arbitre (je crois en une voix versus je crois en une conviction), le metteur en scène parvient en outre à remarquablement retranscrire l’atmosphère poisseuse du New York des années 70, avant l’avènement de Rudy Giuliani qui deviendra maire de la ville en 1994 et fera significativement baisser l’insécurité dans la Grande Pomme. Ainsi, Cohen, par sa mise en scène, nous fait physiquement ressentir (notamment dans les scènes se situant à Harlem), ce climat anxiogène et inquiétant, notamment grâce à son utilisation de la caméra portée qui confère à de nombreuses scènes une rare authenticité. La saleté des rues, l’insécurité ambiante, la criminalité galopante se trouvent ainsi au cœur de la note d’intention formelle du cinéaste, qui fait clairement partie de ceux et celles qui auront le mieux réussi à imprimer sur celluloïd l’atmosphère du monde urbain.

Actuellement disponible sur la plate-forme Shadowz, Meurtres sous contrôle s’impose comme un classique de la série B des années 70 et mérite amplement d’être (re)découvert, ne serait-ce que pour son plan final brisant dans un glaçant arrêt sur image le fameux quatrième mur…


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