Lords of Chaos, des idées et du sang derrière le corpsepaint

Le black metal, en voilà un sujet rempli de tabous et de légendes toutes plus flippantes les unes que les autres qui feraient pâlir cette bonne vieille Vierge Marie ! Toutefois, quand l’idée vient à un réalisateur d’en faire ce que l’on pourrait qualifier un biopic, une question reste en suspens : peut-on retranscrire une telle aura de mystère et de provocation sans toutefois dénaturer les faits ? Eh bien à cette question je ne pourrais ni y répondre affirmativement ou négativement !

Car oui vous l’aurez bien compris d’après l’affiche, « tout est vrai, ou presque », ce postulat de Jonas Åkerlund, que l’on connaît principalement pour ses réalisations de vidéoclips de Rammstein, Metallica, U2 ou encore Madonna (un beau CV en somme), doit donc nous guider sur la manière dont nous devons comprendre l’œuvre. Cependant nous sommes en droit de nous attendre à un certain « cahier des charges » de la part de ce cher Jonas, contemporain de l’émergence de la seconde vague de black metal et des évènements tragiques qui en ont résulté.

Ce fameux « cahier » devrait comprendre en outre une ambiance ultra pessimiste voire carrément nihiliste, une photographie crade et froide ainsi qu’une bonne dose de violence musicale, hors Lords of Chaos (2019) a plutôt tendance à prendre le contrepieds de nos attentes, ce qui est un bon parti pris pouvant toutefois amener le film à se perdre dans la création de son identité. En réalité, on a plutôt affaire à un teen movie que l’on peut séparer en deux parties distinctes : l’émergence musicale de la seconde vague de black metal puis l’évolution psychologique de ses fondateurs. Ainsi on se retrouve plutôt devant un long métrage aux images propres (beaucoup trop même) et aux tons multiples, Jonas arrivant à créer une tension morbide tout en y ajoutant un grain d’humour qui semble faire tâche en premier lieu mais qui au final permet de donner une dimension humaine à ces fameux barjos avides de musique extrême.

La première partie retranscrit d’ailleurs assez bien ce que semble être la réalité de la fondation de cette seconde vague de black metal, à savoir une bande d’adolescents issus pour la plupart des classes moyennes voire bourgeoises, animés par une volonté de foutre le bordel dans le paysage musical du metal gangrené par un death metal californien et suédois jugé has been. On retrouve donc cette énergie assez punk des débuts du mouvements pour ensuite glisser vers un récit plus glacial, où le mal-être des protagonistes va tenir une grande place à travers une série d’exactions définies par le point tournant du film, qui est aussi l’un de ses plus grands défauts : Varg Vikerness.

Volontairement caricaturé par son réalisateur en nous présentant un néo-nazi en carton complètement edgy qui s’avère être un psychopathe notoire, le film perd ainsi une partie de son charme et surtout de son côté malsain, Varg ayant toujours eu dans la vraie vie un esprit tordu et une haine pour le christianisme qui est ici dans Lords of Chaos réduit au minimum tout comme le rôle de la musique d’ailleurs. Il faut bien comprendre que le black metal n’est pas simplement une musique, il a fait office en Norvège et dans de nombreux autres pays dont la France et la Pologne, de véritables actes politiques malencontreusement identitaires notamment à travers les fameuses Légions Noires françaises dont l’empreinte est encore visible dans la scène black metal actuelle. Ainsi en délaissant le côté musical, Jonas délaisse par la même occasion le traitement du politique au sein de son long métrage, peut-être par soucis d’éviter la polémique ou bien pour délivrer une œuvre plus grand public en tentant de conserver l’essentiel de l’histoire. Il est toutefois important de saluer l’effort mis dans la scène finale à savoir « l’affrontement » entre Varg et Euronymous qui est une synthèse parfaite de cette violence et de cette atmosphère malsaine que Lords of Chaos peut créer mais qui peine à se concrétiser totalement.

Que retenir donc de Lords of Chaos, si ce n’est un teen movie parfois trop propre souhaitant jouer avec les réalités et les clichés de la fondation d’un des plus grands mouvements musical des années 1990, en jouant sur des disparités de tons bien pensées ainsi que sur la dimension humaine des personnages qui reste progressive, mais qui au final délaisse un sous-texte politique centré sur une mélancolie de l’imagerie médiévale, conceptualisée comme une époque bénie dite « pure » ainsi qu’à un retour à la nature. Cet aspect du black metal, à la frontière entre show, provocation, idéologie d’extrême-droite et apologie de la haine est beaucoup trop important et se retrouve pourtant occulté dans l’œuvre Jonas Åkerlund. Cette critique de la décadence d’une société se retrouve dans les lyrics, mais aussi dans l’aspect « crade » de cette production musicale, un retour « à la pureté » qui correspond vraisemblablement à de nombreux discours dangereux entre conservatisme et incitation à la haine raciale, Lords of Chaos se révèle ainsi comme un film avec de nombreuses bonnes idées mais dont l’exploitation est partielle, il est donc nécessaire de compléter ce visionnage avec plusieurs références :

Until the Light Takes Us, documentaire de Aaron Aites et Audrey Ewell réalisé en 2009 et qui revient sur les acteurs ayant contribué à la création et l’émergence de la seconde vague (très utile si vous voulez avoir une multitudes de points de vue sur cette période).
True Norwegian Black Metal, un documentaire en 5 parties réalisé en 2007 qui revient sur la vie du chanteur Gaahl, du groupe Gorgoroth, c’est l’occasion de découvrir l’atmosphère qui régnait en Norvège durant l’apogée de la seconde vague.

Lords of Chaos est bien évidemment à retrouver sur Shadowz !