Comme le démontre très bien le documentaire RRRrrrr!! d’Alain Chabat, il était bien plus aisé d’être un meurtrieur ou un crimier à la Préhistoire qu’aujourd’hui. Quand une personne était manifestement décédée, l’investigation n’allait pas beaucoup plus loin qu’une observation sommaire, on écartait un peu la plaie pour voir quels organes étaient atteints et basta.
Si le serment d’Hippocrate, au IVe siècle avant J-C, a quelque peu responsabilisé le rôle du médecin, il faudra attendre le VIe siècle après J-C pour qu’apparaisse la fonction du médecin-légiste, tel qu’on le connaît à peu près aujourd’hui, c’est-à-dire comme un homologue de la justice : face à une mort suspecte, il va inspecter les tissus, les cavités, rechercher d’éventuelles traces de poison et remettre son rapport aux enquêteur·trice·s.
La médecine légale prend un nouvel essor au Moyen Âge et à la Renaissance avec à la fois une amélioration des moyens techniques (on arrive de mieux en mieux à ouvrir les bidons), des avancées scientifiques (on comprend notamment comment conserver les corps plus longtemps) et des engagements politiques (les Rois et autres papes détestent voir le crime impuni). Dès lors, on ne se limite plus à l’observation superficielle mais on va ouvrir tout ce qui peut être ouvert (boîte crânienne, cage thoracique, ventre, etc.). Les médecins vont également être en mesure d’analyser les noyades ou les asphyxies.
Les progrès technologiques vont par la suite accélérer le tout avec l’apparition du microscope, de la radiologie et d’une volonté généralisée d’enseigner cette discipline de façon sérieuse et universelle. Aujourd’hui, le métier de médecin-légiste rebute autant qu’il fascine. Il interpelle chez nous des sentiments troubles et des concepts forts tels que la mort (notre rapport à l’au-delà), la dissection (notre rapport à notre corps) puis de manière générale, on n’aime pas trop ce qui se passe dans les caves, à l’abri des regards…
Forcément, là où y’a de la gêne, y’a du plaisir et le cinéma de genre s’est engouffré dans cet univers inconnu et inquiétant. Du récent et terrifiant Autopsy of Jane Doe d’Andre Øvredal aux plus anciens films de Lucio Fulci, du brésilien Nightshifter (Dennison Ramalho) au japonais Kansen (Masayuki Ochiai) en passant par le paraguayen Morgue (Hugo Cardozo), les laboratoires médico-légales sont à la fois le point final des vivant·e·s et le point de départ des intrigues les plus terrifiantes. Mais qu’en est-il de ceux et celles qui y travaillent ? Sont-iels aussi terrorisé·e·s que nous ? Se passe-t-il des choses étranges qui nous seraient cachées ? Rencontre avec un médecin légiste pour une interview… au scalpel !
Bonjour et merci de bien vouloir répondre à mes quelques questions ! Tout d’abord, tout en respectant votre anonymat ainsi que celui de votre lieu de travail, pouvez-vous décrire en quelques mots votre fonction ?
Je suis médecin légiste dans un grand centre hospitalier. Mon travail consiste à faire des autopsies afin de rechercher les causes d’un décès ou constater des signes de violences dans les affaires criminelles, recevoir en consultation des victimes de violences afin de réaliser des constatations pour la Justice, ou encore faire des expertises à la demande de la Justice pour que des victimes puissent être indemnisées de leurs blessures. J’effectue également des gardes pour tout ce qui est urgent (même en médecine légale nous avons des urgences, même si on ne parle pas d’urgences vitale 😉 ) comme se rendre sur des scènes de découverte de cadavre ou examiner des victimes d’agressions sexuelles et faire des prélèvements à la recherche de preuves (l’ADN…). Il m’arrive aussi de participer à des reconstitutions de scènes de crimes (c’est-à-dire se rendre sur les lieux d’un crime avec un juge d’instruction et un ou plusieurs mis en cause, pour reconstituer le déroulement des faits et répondre aux questions que se pose le juge dans le cadre de son enquête). Je suis également appelé à présenter mes constatations devant les Cours d’Assises, en cas de procès criminel. Globalement je suis au service de la Justice, je fais un travail très varié et passionnant.
Rentrons directement dans le vif du sujet : est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’avoir peur, durant l’exercice de votre fonction ?
Je ne me définirais pas comme quelqu’un de peureux ! La médecine légale est une médecine de la violence, il faut le savoir en s’engageant dans ce métier. J’ai donc pour habitude de ne pas m’impliquer personnellement (mais seulement professionnellement) dans les affaires que j’ai à traiter. Cela me semble indispensable d’avoir ce recul, qui permet d’être le plus objectif possible. Après, je reste un être humain, je ne suis pas dénué de sentiments ! Je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà eu peur, même si certaines situations créent une ambiance assez singulière.
Par exemple, je me souviens avoir participé à une reconstitution criminelle dans une forêt, où un corps avait été découvert quelques mois auparavant après l’homicide de la victime. Comme les faits s’étaient déroulés la nuit, on y était aux alentours de minuit et les bruits de la forêt associés à l’ambiance de la scène étaient dignes d’un film d’horreur. Mais dans toutes les situations où j’interviens il y a des policiers ou des gendarmes partout, ça rassure tout de suite !
Ça ressemble à quoi, une autopsie ? Est-ce qu’il y a du sang partout ou au contraire, c’est très propre ?
C’est une bonne question car la plupart des gens s’imaginent qu’une autopsie ressemble à une boucherie alors qu’en fait, pas du tout ! Une autopsie c’est un peu comme un acte chirurgical. On se doit d’être précis et méticuleux dans les gestes effectués. Et les cadavres ont un gros avantage, ils ne saignent pas ! Ils contiennent du sang, mais celui-ci ne gicle pas partout car le cœur est à l’arrêt. J’ajoute que c’est important d’autopsier proprement pour deux raisons : d’abord, pour respecter la dignité des défunts qu’on autopsie et ensuite, pour pouvoir faire de bonnes constatations car si on met du sang partout, on n’y voit plus rien.
Quel bruit ça fait de découper un cadavre ? Comme dans les films ou pas du tout ?
Il y a deux étapes qui font un peu de bruit : quand on sectionne les côtes au sécateur (c’est la seule solution pour pouvoir accéder au cœur et aux poumons, contenus dans la cage thoracique), et quand on ouvre le crâne à l’aide d’une scie électrique. D’ailleurs on prévient toujours les étudiants en médecine de ces deux temps, lorsque c’est leur première fois en salle d’autopsie ! Sinon, on ne « découpe » jamais un cadavre pour le démembrer comme dans les films, certains criminels seraient très déçus de nos autopsies 😉
Et niveau odeur, ça sent fort ou vous avez des astuces ?
Niveau odeur c’est très variable. Les cadavres en « bon état » sentent peu et je me suis habitué à cette odeur au fil du temps. En revanche, les cadavres très décomposés sentent fort, et il n’y a pas vraiment de solution pour éviter ça. Je précise que j’aime bien prendre une douche après les autopsies 😉
Avez-vous déjà vu bouger un cadavre ?
Non, ou alors je ne m’en suis pas rendu compte ?!
Vous autopsiez un corps, vous allez vite fait aux toilettes et quand vous revenez, le corps n’est plus là. Quelle est votre réaction ?
Je retourne aux toilettes !
Quelle est l’expérience médicale, peut-être une anecdote, la plus étrange que vous ayez vécu ?
Me rendre sur la scène du crime d’une victime tuée par deux hommes souffrant de troubles psychiatriques. Ils avaient décrit des hallucinations sous forme de voix leur disant de donner des coups de couteaux à la victime. Le plus troublant pour moi était que l’un des deux avait donné les coups de couteau pendant que l’autre le regardait faire en mangeant un gâteau, comme s’il assistait au film d’horreur dont il était à la fois metteur en scène et acteur.
C’est complètement digne d’un film d’horreur. Et justement, est-ce que vous aimez bien les films du genre et si oui, quel est votre préféré ?
Je ne suis pas fan des films d’horreur. Je préfère les thrillers, même s’ils me rappellent parfois le boulot !
Merci beaucoup pour vos réponses et à bientôt (enfin le plus tard possible).
Si on se voit dans le cadre de mon boulot, ce sera mauvais signe en effet !
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