Le Domaine (Il nido) : immersion au cœur des secrets de la Villa dei Laghi

Se retrouvant tétraplégique après un accident de la route, un jeune garçon du nom de Samuel interprété par Justin Korovkin, est contraint de passer ses journées cloîtrées entre les quatre murs de sa maison sous l’œil avisé de sa mère Elena (Francesca Cavallin) entouré de ses tantes, oncles et personnel de maison. Veuve depuis ce tragique accident, elle interdit formellement à Samuel de franchir les limites du domaine, car selon elle, leur foyer est le meilleur endroit pour lui, le monde extérieur est trop dangereux. Les journées de cet adolescent sont rythmées par des cours de piano et des leçons sur la gestion du domaine familial. Son quotidien, assez monotone et très différent de celui des autres enfants son âge va être chamboulé par Ginevra Francesconi se glissant merveilleusement dans le rôle de Denise, une jeune femme de quinze ans, recrutée comme domestique par Elena. Une fille pleine de vie ayant l’interdiction la plus totale de parler à Samuel. Nos deux adolescent·e·s· vont tout de même braver les règles de la maison, en se liant d’amitié et plus si affinité… Au grand dam de la famille, qui ne va pas hésiter à révéler sa vraie nature pour éloigner les deux tourtereaux et empêcher Samuel de sortir du domaine. Une face cachée de la famille jusqu’ici inconnue pour notre jeune garçon.

Plongez au cœur de ce manoir aussi splendide qu’effrayant, perdu entre la faune et la flore piémontaise. Tout au long du film, le public est emporté dans une atmosphère très anxiogène accentuée par des décors sombres et anciens accompagnés par des mélodies aux temps marqués qui renforcent le suspens. La première scène du film est un flash-back de l’accident qui a conduit Samuel à être en chaise roulante, mais qui a également coûté la vie à son père. Une scène marquante, probablement un choix du réalisateur Roberto de Feo, afin de captiver notre attention dès le début, mais également pour mieux faire comprendre l’intrigue. Dans ce manoir tout semble angoissant, même les moments de joie sont recouverts par un voile malaisant. Lors de la scène de l’anniversaire de Samuel, toute la famille s’est rassemblée pour fêter comme il se doit cet événement, mais le réalisateur, va rendre cette scène où Elena apporte le gâteau, plus angoissante et dérangeante que jamais. Un soupçon de bruits de bouche mastiquant la nourriture, une pincée de protagonistes qui chantent « joyeux anniversaire » en cœur, saupoudrés d’un effet d’écho, mélangez le tout et obtenez l’une des scènes d’anniversaire la plus bizarre à laquelle vous n’avez jamais assistée (enfin je l’espère pour vous) ! Finalement, si nous ne savons pas très bien dans quelle époque, nous nous situons, des accoutrements assez anciens, un fauteuil roulant très vintage, des airs de Rossini et Beethoven datant du 19e siècle mélangés à des mélodies des Pixies de la fin des années 90, assemblage qui nous désoriente le temps d’un instant.

L’intrigue repose essentiellement sur les deux personnages de Samuel et Elena, mère et fils. Comme dans plusieurs de ses films, Roberto de Feo donne une grande importance à la femme, et plus particulièrement à son instinct maternel. Dans ce long-métrage, nous pouvons observer une sorte de critique à propos de l’un des plus grands problèmes des parents, le fait de ne pas réussir à « couper le cordon ». Le besoin incessant pour les parents de toujours vouloir surprotéger son enfant pour veiller à ce qu’il ne lui arrive rien, se répercute beaucoup dans ce film. En effet, par peur que son fils soit malheureux à l’extérieur du domaine, Elena, veille à l’avoir sous ses yeux, persuadée que son bonheur est auprès d’elle et du manoir. Un jour Samuel se réveille avec l’étrange sensation de pouvoir bouger son orteil, un événement qui remplit de joie le jeune garçon tétraplégique, qui ne pensait pas pouvoir un jour utiliser ses jambes. Ses espérances vont vite être stoppées par Elena et le médecin de la famille, Christian, qui vont lui affirmer que ce ne sont que des nerfs et qu’il n’arrivera jamais à marcher. Une relation remplie de secrets qui fait beaucoup penser à The Act de Nick Antosca et Michelle Dean où l’on retrouve ce lien toxique lié à une maladie qui coupe l’enfant du monde. Mais ne serait-il justement pas dangereux pour Samuel ne rien savoir sur le monde extérieur, de ne pas connaître les menaces ? Comment va-t-il réagir face à ce monde s’il s’aventure un jour au-delà des limites de la propriété ? Je vous laisse le découvrir lors du visionnage… Le personnage féminin de Denise, semble représenter une échappatoire pour Samuel, grâce à sa joie de vivre, son franc parlé et son courage, elle permet au jeune garçon d’enfin se sentir libre mais surtout vivant. Denise incarne une femme de sang-froid, indépendante qui n’hésite pas à braver les règles strictes du domaine sans se soucier des répercussions. Une parfaite description de la femme de nos jours. Le protagoniste semble être une personnification du monde extérieur : entre musique Rock et cigarettes, elle représente à la fois la liberté du monde extérieur, mais également le coté néfaste de la société comme les différentes addictions qui nuit à notre santé telle que la cigarette.

Un domaine coupé du monde dirigé par une seule et unique personne, ne serait-ce pas là une sorte de dictature ? Dans ce domaine, parler du monde extérieur est interdit, sous peine de sévices, comme en témoigne la scène où une personne de la famille parle de sa tante qui vivait dans le monde extérieur. À la Villa dei Laghi, la parole semble être une arme trop dangereuse, une arme qui doit être anéantie, un élément très bien compris par Elena et le docteur qui n’hésitent pas à utiliser une mystérieuse et horrible opération qui fait perdre toute forme d’humanité aux habitant·e·s· À travers ce lavage de cerveau, les gens comprennent qu’il est formellement interdit de parler du monde extérieur, et que le domaine est l’endroit le plus sûr pour iels. Cet abominable processus peut rappeler la censure des médias, des livres, qui règne au sein d’un régime totalitaire, au long du film nous retrouvons les deux mêmes séquences une vers le début et une vers la fin du long-métrage. Cette scène montre Denise en train de danser sur la musique Where is my mind des Pixies joué au piano par Samuel, la protagoniste danse laissant ses mouvements être portés par la musique. La même scène se reproduit après son opération, mais cette fois-ci la danse n’est pas faite de son plein gré, mais elle est ordonnée par Elena. La scène montre une danse forcée, et une femme vide, sans âme. Si nous poussons l’analyse dans le contexte, nous pouvons imaginer que Denise représente les œuvres d’art avant et pendant la censure : sans la censure, les auteurs·trices sont libres de faire parler leur imagination et le résultat est incroyable et avec la censure, iels doivent s’assurer de ne rien produire en contradiction avec l’idéologie du régime, laissant leur liberté et leur imagination s’évanouir, tout comme la joie de vivre de Denise. Ce domaine semble être la porte d’entrée de l’enfer sur terre, une fois rentré, le seul moyen d’y sortir et d’y laisser sa vie.

The Nest (Il nido) est un film qui va vous plonger pendant 90 minutes au cœur d’un univers sombre et anxieux. Ici, ne vous attendez pas à voir des personnes qui lévitent au-dessus d’un lit, les événements qui surviennent au sein du domaine n’ont rien de surnaturels (ou presque), c’est une horreur psychologique qui immerge le public au sein d’un huis clos semblable au film Les Autres d’Alejandro Amenabár. Cette ambiance lugubre est davantage renforcée par le remarquable jeu d’acteur de l’ensemble de nos personnages qui nous tient en haleine jusqu’à un plot twist final intriguant qui va en surprendre plus d’un·e !


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