Le court-métrage 4444444444 est l’un des deux premiers films d’horreur de Takashi Shimizu avec Katasumi (1998). Ces deux œuvres posent les bases de l’univers de la saga Ju-On aka The Grudge initiée en 2001. Takashi Shimizu, alors élève de Kiyoshi Kurosawa, réalise ces deux vidéos de 3 minutes pour une anthologie de courts-métrages du nom de Gakkô no kaidan G (1998). 4444444444 conte la mésaventure d’un lycéen qui, en rentrant chez lui à vélo, entend un téléphone portable sonner à côté d’une maison qui semble abandonnée. Le jeune homme fouille alors dans un tas d’ordures près de l’entrée de la mystérieuse bâtisse et finit par trouver le cellulaire après plusieurs sonneries. Le téléphone affiche le numéro « 4444444444 » et l’homme, quelque peu inquiet, se décide à répondre à l’appel. Des sons étranges et des miaulements de félins se font entendre. Après avoir tenté tant bien que mal de communiquer avec ce mystérieux interlocuteur, le lycéen raccroche… mais le téléphone sonne à nouveau. Chiffre lié à la mort, sa prononciation ressemble au mot « mort » et il est commun, au Japon, que les hôpitaux, les hôtels et les grands immeubles ne possèdent pas de quatrième étage à l’instar du nombre 13 ou 666 dans la culture occidentale.

Ce court-métrage de Shimizu esquisse le personnage fantôme de Toshio, cet enfant maudit aux hurlements de chat, qui deviendra une icône de la J-horror au même titre que sa mère Kayako et de la célèbre Sadako de la saga Ringu aka The Ring initiée en 1998 par Hideo Nakata. L’ambiance glauque, la pression ressentie par le protagoniste principal frustré par cet appel effrayant et l’esthétique de l’enfant fantôme blanc comme un linge à la coupe au bol sont caractéristiques du maître de l’horreur nippone. Recroquevillé et tapant nerveusement ses doigts sur ses genoux, Toshio fixe sa victime de ses grands yeux vitreux avant de « miauler ». La caméra zoome alors sur la bouche du petit fantôme tandis qu’une substance noire et pâteuse s’en écoule. Toshio rappelle la figure du bakeneko, cette créature féline du folklore nippon, montrée à l’écran dans de nombreux films cultes du cinéma japonais – Le Manoir du chat fantôme (Nobuo Nakagawa,1958) et Kuroneko (Kaneto Shindo, 1968) en tête – ainsi que des animations fantastiques telles que la série Ayakashi : Japanese Classic Horror (Kenji Nakamura, 2006) ou Bakemonogatari (Akiyuki Shinbo, 2009) qui possèdent leur propre arc narratif sur ce yôkai. Dans la saga Ju-On, l’histoire se précise : l’enfant et son chat ont été sauvagement assassinés par le père de famille. Cette souffrance, cette colère et cette rancune intarissables auraient réuni ces deux âmes afin de former un monstre vengeur prêt à emmener celles et ceux qui ont le malheur de croiser sa route vers la mort.
L’autre court-métrage du nom de Katasumi retrace la terrifiante histoire de deux écolières, Hisayo et Kanna, qui ont pour mission de nourrir les lapins de leur établissement scolaire. Elles s’occupent sereinement des animaux lorsque Kanna se coupe la main et quelques gouttes de sang s’écoulent de la main de la jeune fille. Son amie court chercher des pansements à l’intérieur du bâtiment mais lorsque Hisayo revient, Kanna semble avoir disparu. Les cages vides, les touffes de poil et les morceaux de chair éparpillés au sol inquiètent vivement la jeune fille qui regarde autour d’elle à la recherche de son binôme. Hisayo aperçoit alors une femme rampante vêtue de blanc et à la longue chevelure noire (Kayako Saeki) qui se rapproche peu à peu de sa position. Terrifiée, la jeune écolière recule et tombe sur le corps de Kanna dont la mâchoire inférieure est manquante. Hisayo cherchera donc à se défendre en attrapant un outil qui trainait par là et Kayako stoppe son mouvement. Le cadavre de Kanna se met soudainement à se mouvoir, traumatisant ainsi Hisayo devenue totalement incapable de réaliser le moindre mouvement…
Le prototype de Kayako Saeki, la mère de Toshio, apparaît pour la première fois dans ce court-métrage. Interprétée par Takako Fuji qui jouera le rôle de Kayako dés le premier opus Ju-On jusqu’à The Grudge 2, Kayako est la figure du fantôme féminin japonais par excellence. Désarticulée, ses longs cheveux pendant sur son visage, Kayako s’inspire de la légende d’Oiwa, cette onryô mise en scène dans la pièce de théâtre kabuki Yotsuya kaidan écrit en 1825. Takashi Miike en réalisera d’ailleurs une adaptation en 2014 avec son film d’horreur Over Your Dead Body aka Kuime dans une œuvre entre folie et surnaturel. Trahies et assassinées par leur époux, Oiwa et Kayako reviendront hanter les lieux et ce jusqu’à ce que leur malédiction soit totale. Ces deux courts-métrages apparaissent comme des préquelles de la saga culte de Takashi Shimizu et démontrent son talent, déjà remarqué par Kiyoshi Kurosawa, malgré le peu de moyens qui étaient à sa disposition lorsqu’il était étudiant.
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