Film d’horreur américain, Jakob’s Wife (Travis Stevens, 2021) mêle avec brio humour, gore et thriller dans une aventure fantastique et déjantée. Ce conte d’émancipation féminine retrace l’histoire peu commune d’un couple qui connait quelques difficultés à s’épanouir. Une femme désabusée du nom de Anne (Barbara Crampton) est mariée à un pasteur peut-être doué dans son travail mais incapable de prendre en considération les envies de sa femme. Anne s’ennuie, elle rêve d’autre chose et se rend compte qu’elle prend soin de lui depuis leur mariage en ne demandant jamais rien en retour. Tandis qu’il fait de beaux sermons à la messe sur le rôle d’une épouse, il se comporte d’une façon déconcertante avec la sienne. Tout va basculer lorsqu’elle va retrouver son ancien amour dans un moulin abandonné qu’iels doivent rénover ensemble. Après avoir échangé quelques baisers, le duo fait la rencontre d’une créature invisible qui changera la vie de la femme à tout jamais…

Il s’agit là d’un rôle peut-être plus personnel pour Barbara Crampton – icône de l’horreur depuis Re-Animator (1985) ou encore From Beyond (1986) de Stuart Gordon – qui avait fait son retour avec le sublime The Lords of Salem (Rob Zombie, 2013). Larry Fessenden (le pasteur) joue ici le rôle d’un homme insupportable, cherchant à contrôler les faits et gestes de sa femme, l’interrompant sans cesse, répondant à sa place lorsque la police viendra interroger le couple au sujet de la mystérieuse disparition d’une jeune femme du coin. On voit Anne déconcertée par le comportement et le système de pensées de son compagnon. Assise sur le banc d’église, la femme bouillonne d’amertume en écoutant son mari faire la morale à propos du mariage. Son regard transpire le mépris dans de nombreuses scènes du quotidien. Du brossage de dents au repas de famille, Anne est dégoûtée de cet homme et de la tournure qu’a pris sa vie depuis son mariage. Elle sent au fond d’elle qu’elle vaut mieux, qu’elle veut plus, qu’elle mérite de ne pas passer à côté de son épanouissement. Seul hic : Anne est profondément amoureuse de cet homme. Les scènes dans lesquelles le pasteur, tenant son journal, attend que son épouse lui serve le petit-déjeuner sans lui adresser un seul regard en dit long sur l’état de ce mariage.
Anne rentre un beau jour à la maison en une femme changée, forte et sûre d’elle. La créature a bien dévoré son ex mais lui a offert un cadeau inestimable : une obligation de changement. Dans des scènes de women’s empowerment comiques, Anne soulève le canapé seule, refait la décoration et change de style vestimentaire. Elle se transforme en une femme attractive, portant de gigantesques lunettes de soleil et se baladant à l’affut de chair. La femme ressent une soif de sang inexplicable et prend enfin les rênes de sa relation.

Dans cette œuvre, le thème vampirique assez classique est traité sous un autre angle : celui de l’émancipation féminine. Le lien flou entre soif de sang et envie sexuel est titillé tout au long du film. Jakob’s Wife joue avec les clichés et s’amuse de ces analogies. Les vampires, en quête de satiété, se perdent, deviennent dingues et sont dans l’incapacité de se contrôler. Anne devient donc impulsive et particulièrement attirante et le « pauvre » pasteur ne sait pas comment réagir face à cette nouvelle épouse, confiante, honnête, et provocatrice. Elle ne correspond plus à ce cliché de genre féminin, à cette image d’épouse parfaite aux yeux de Dieu.
Jakob’s Wife vacille entre comédie d’horreur aux bruitages cartoon et thriller ensanglanté, le tout en portant un message fort dans une atmosphère conflictuelle et dramatique : les oppositions systématiques entre l’homme et la femme ; la traque du couple envers la « maîtresse » vampire, et le combat intérieur d’Anne contre elle-même. Les protagonistes se montrent particulièrement humain·e·s. Anne, malgré sa transformation, criera son amour envers son époux tout en affirmant qu’il lui manque quelque chose de terriblement important dans sa vie. Crampton et Fessenden réalisent une performance très sérieuse. Le public a l’impression de voir à l’écran une relation de couple réelle et tendue. Ce long-métrage montre à travers beaucoup de « douceur » les paradoxes et les limites imposées aux femmes dans une société américaine aux revendications puritaines incessantes. Malgré tout, le couple reste extrêmement touchant. Ces deux individus ignorent simplement comment se comporter hors des rôles figés et prescrits par la Bible. L’absurdité de leurs réactions respectives, la peur de Jakob envers sa « nouvelle » compagne et la folie naissante d’Anne sont rafraîchissantes dans cette relation auparavant figée et ennuyante.
Grâce à cette morsure, Anne devient elle-même. Son « maître » n’est plus son époux. La vampire lui confiera même lui avoir donné ce pouvoir pour permettre son indépendance. Une vie d’éternité, de plaisirs et de folies l’attend une fois qu’elle aura accepter le sang de la créature. La tentation est à son comble… lorsque le pasteur transperce l’entité d’un pieu dans le cœur. Aspergée d’une quantité assez phénoménale de ce liquide noir, Anne hurlera à son compagnon :
Ce n’était pas à toi de faire ce choix !
Mais cet acte est pourtant le moment qui marque la transformation psychique de Jakob. Il est enfin prêt à se battre pour sa femme, à penser à elle. Ce final héroïque dont rêve le pasteur, dans lequel l’homme assume avec témérité le rôle de chasseur de vampire, de ministre du Seigneur comme il se nomme, d’époux protecteur s’écroule une fois encore : il vient de condamner Anne à vivre une éternité sans aucun moyen d’apaiser sa soif… Cette séquence finale n’était pas un combat du bien contre le mal comme l’aurait voulu Jakob mais bien une confrontation entre Anne et la femme vampire qui lui a donné le pouvoir de se libérer. La créature est-elle l’incarnation des désirs d’une Anne assoiffée de chair, de liberté et de toutes les choses dont elle n’a jamais pu jouir à cause d’un patriarcat chrétien hypocrite, enfermée dans une relation qui ne lui convient finalement si peu ?
Disponible sur Shadowz, Jakob’s Wife est une comédie horrifique touchante et délurée qui traite le sujet de l’émancipation des femmes avec un génie burlesque et une touche de cynisme bien placée !
Le retour de Crampton! Voilà qui fait bien envie, surtout après lecture de cet article particulièrement alléchant.
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Merci 😊 Le film vacille sans cesse entre plusieurs styles, le sujet est traité de façon originale et la performance de Crampton est si convaincante ! Je ne suis pas fan des comédies horrifiques américaines, mais celle-ci a totalement changé mon avis 😁
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Par contre, je ne connais pas la plate-forme sur laquelle est diffusé le film. Encore un qui aurait mérité une salle.
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Shadowz est une plate-forme française spécialisée dans le cinéma de genre. Depuis Prime Vidéo, tu peux l’avoir, il me semble, moins cher (sinon y’a leur site).
Oui… Depuis le streaming, c’est la catastrophe pour les salles de cinéma 😔 le covid ayant bien joué aussi 😂
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