Morse, la vampire qui venait du froid

Réalisé en 2008 par Tomas Alfredson et adapté du roman Lat den rätte komma in publié en 2004 (Laisse-moi entrer édité en 2010 en version française) de John Ajvide Lindqvist, Morse aka Let the Right One In nous raconte l’histoire de Oskar, un enfant de douze ans fragile et solitaire harcelé à l’école par ses camarades de classe. Un soir, un homme et sa fille, Eli, emménagent dans l’appartement voisin et cette dernière se révélera être une vampire.

Le cinéma de genre est sûrement celui qui intègre le mieux en son sein les multiples facettes représentatives de l’humain·e, du monde en général. Il peut être horrifique, drôle, dénonciateur, contestataire et critique. Comme il peut être beau, doux, émouvant et touchant. Et c’est cela qui fait en partie une de ses forces. Morse fait indubitablement partie de cette dernière catégorie.

Ce film dégage une triste beauté, une sublime mélancolie dans sa narration, qui prend son temps pour nous faire nous attacher aux personnages. Oskar, fragile jeune adolescent qui se fait brimer par une bande de durs et qui, seul, s’imagine en train de prendre le dessus sur eux. Solitaire, il se passionne pour les meurtres sévissant dans la région. Passion morbide que l’on peut voir comme une représentation de son isolement. Sa solitude ne se limite pas à la sphère privée mais s’étend aussi dans le cadre scolaire. Là où plusieurs plans nous montre des élèves en groupe, Oskar lui sera toujours filmé seul, que ce soit dans les couloirs de l’école ou la scène montrant une sortie scolaire.

Eli est peut-être la protagoniste la plus touchante mais aussi la plus énigmatique. Tout le long du film, elle restera une entité mystérieuse car son passé ne sera jamais dévoilé. Son âge véritable non plus car comme elle dira à Oskar :

« J’ai douze ans. J’ai douze ans depuis longtemps.»

La relation avec son « père » est aussi très intéressante, de même que les liens familiaux de l’ensemble des personnages qui seront abordés. Car, tout comme Eli, l’homme qui s’occupe d’elle a un statut particulier. Aucune tendresse ne sera dégagée de la part de l’un·e ou de l’autre, une froideur sera présente tout du long. Aucuns mots qu’un père ou une enfant pourraient se dire ne seront prononcés. Son rôle se restreint à tuer pour récupérer le fluide vital nécessaire à la survie d’Eli. Quand il échouera une fois à lui procurer du sang, Eli s’emportera violemment contre lui. Alfredson, dans une dureté visuelle, montrera l’inversion des rôles dans lequel l’enfant prend le dessus sur un adulte, qui serait accessoirement son serviteur.

Là où Morse exploite subtilement le thème du vampirisme et lui apporte un côté tragique est le fait qu’Eli, malgré son âge abstrait, est coincée dans un corps d’enfant, élément que l’on peut voir aussi dans le film Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994) avec le personnage de Claudia. Elle est incapable de chasser par elle-même et a besoin de cet homme pour étancher sa soif. Mais, au cours de ses quelques sorties nocturne, une assurance prendra forme et elle s’attaquera à deux victimes. Morse aborde dans un ton subtil des thèmes forts. La famille d’abord, dans laquelle les adultes sont incapable de comprendre les enfants. À l’école, le corps enseignant ne fermera pas les yeux sur les brimades infligées à Oskar car, pire que ça, il n’en sera même pas conscient. Dans la sphère privée, l’absence quasi-totale de la mère d’Oskar est très forte, de même que son père qui préférera boire avec un ami plutôt que de s’occuper de son enfant. La solitude, accentuée d’une féroce beauté par des plans enneigés vides de monde, où seule la nature est présente. Ce thème est la base du film, Oskar retranché dans son monde et Eli dans celui de ses propres ténèbres. Le jeune garçon en sortira en éprouvant de l’affection puis de l’amour pour elle, et il sera la rédemption de cette vampire à l’allure juvénile en lui faisant accepter, en partie, son état de morte-vivante qu’elle subit comme une véritable malédiction.

Ce qui amène le troisième thème : l’amour. Une relation d’une beauté magnifique au travers de laquelle deux enfants découvre gauchement et timidement les premiers émois fragiles d’une passion naissante. Ce thème est traité avec une telle finesse qu’il en devient un joyau pur. Pour Oskar, cette tendresse le libère aussi de sa solitude, il se sent enfin compris et lié à un·e autre être, même si cet·te autre n’est pas ou plus humain·e. Et Eli, si froide et lointaine au début, s’humanisera doucement au contact d’Oskar, éprouvant une affection si forte qu’elle ira jusqu’à le protéger, d’une façon violente mais à la hauteur de son amour. Morse est un film profondément humain, d’une beauté rare qui, accompagné d’une partition magnifique de Johan Söderqvist (Le thème d’Eli en particulier) est un bijou de clair-obscur, où le beau de l’âme côtoie la noirceur, où la profonde mélancolie rejoint l’espoir que finalement, nous ne sommes pas seul·e·s dans une vie.


4 commentaires sur “Morse, la vampire qui venait du froid

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  1. Magnifique texte. J’avais beaucoup aimé ce film lorsque je l’ai découvert à sa sortie en salle. Tu as tout dit de sa profonde mélancolie, des sombres mystères qui l’habitent, des amours interdits et des affaires de genre. Le vampirisme est décidément une métaphore fertile en réflexion.
    Jamais vu le remake américain qu’on dit plutôt réussi. Mais comment passer derrière un si beau film ?

    Aimé par 2 personnes

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