Rent-A-Pal est un thriller psychologique américain de Jon Stevenson (2020) qui dépeint un conte de solitude et de déconstructions des liens sociaux. Angoissant et d’humour grinçant, cette oeuvre nous décrit un personnage attachant mais perdu dans ses frustrations. L’horreur glisse inexorablement vers une folie meurtrière.
David, un homme de 40 ans doux et gentil, passe ses journées à s’occuper de sa mère impotente. Enfermé dans le sous-sol de la maison, faisant office de chambre/appartement, David n’a que sa solitude et ses VHS pour lui tenir compagnie. Inscrit à une agence de rencontre qui lui fournit des cassettes d’annonces de jeunes femmes célibataires, l’homme passe son temps libre à les visionner pour trouver enfin une petite amie et briser sa solitude. Mais malgré l’argent qu’il dépense pour l’agence, son profil ne semble intéresser aucune candidate potentielle. David finit par se rabattre sur une des cassettes traînant dans le bac des retours, au titre étrange de Rent-A-Pal, littéralement Loue un ami. En enfilant la cassette dans son magnétoscope, David fait la connaissance du maître de cérémonie, Andy, un homme arborant un pull, une barbe et un sourire impeccables et qui lui promet de devenir son ami. Mais cette amitié a un prix.

Le film commence avec un rythme lent et on s’attache rapidement à David, les spectateur·rice·s étant touché·e·s par la tristesse et le sacrifice que David fait tous les jours pour s’occuper de sa pauvre mère. Mais lorsque David enfile cette fameuse cassette dans le magnétoscope, Andy, le maître de cérémonie arborant une barbe et un sourire inspirant la confiance, semble promettre plus de joie et de gaieté à la fois à David et au public. Ce dernier a enfin trouvé quelqu’un·e à qui parler et qui l’écoute, la connexion devenant de plus en plus profonde au fur et à mesure que David mémorise le déroulement de cette bande préenregistrée, les scènes devenant même comiques.

Mais alors que David semble avoir enfin trouvé un ami, même s’il n’est que virtuel, les confidences se font de plus en plus intimes et les névroses de David commence à resurgir. Le film change de ton. Un verre d’alcool à la main, David parle de ses parents, du suicide de son père, de la sévérité de sa mère, des épisodes humiliants que lui ont fait subir ses camarades de classes et Andy fait de même. La colère, la misogynie et la frustration commence à prendre le pas et à cimenter cette relation si particulière entre Andy et David qui devient, au fil du film, de plus en plus toxique. Seules les moments dédiés à sa mère viennent délivrer David de cette relation de plus en plus malsaine symbolisée par la dégradation de la qualité de la cassette dont la bande (à force de frottement sur les têtes du magnétoscope que David lui inflige par des va-et-vient névrotiques) s’use et l’image sur le téléviseur devenant plus granuleuse, se remplie de parasites, saute et devient beaucoup moins attrayante. Les plans sur le visage d’Andy se font de plus en plus serrés, les yeux de plus en plus gros comme s’il épiait les moindres gestes de David, transformant le visage amical du début en une présence effrayante amplifiée par les pauses mécaniques du magnétoscope que David impose à la bande argentique. Andy semble prendre vie ou alors ce sont toutes les mauvaises pensées, toutes les rancunes de David qui se cristallisent et s’amassent telle une tumeur en la figure de cet ami fictif, échos à la fois d’un passé douloureux et d’un présent emplie de tristesse et de regrets.
À partir de la scène de la confession/masturbation, toute la toxicité de cette relation qui s’est mise en place entre Andy et David apparaît au grand jour. La répétition des refus de sa candidature l’enfonce de plus en plus dans sa colère, sa frustration sexuelle, sa solitude sociale, sa rancœur envers sa mère qu’il considère comme responsable de la mort de son père, un musicien de jazz, figure paternelle qu’il semble idéaliser, mais que l’on ressent absent même de son vivant. Andy n’est plus le visage amical du début qui écoute avec compassion son « ami », il se transforme en rire moqueur, humiliant David et lui rappelant le harcèlement dont il avait été victime dans sa jeunesse. Cet ami chimérique ne prêtre plus l’oreille, il ne donne plus. Au contraire, il semble se nourrir de tous les mauvais sentiments ressentis par David, de toutes les mauvaises histoires qu’il a vécues. C’est la goutte d’eau qui vient déborder le vase émotionnel de David. Et lorsque sa mère le surprend en une « fâcheuse posture », celui-ci est sur le point de l’agresser, fatigué qu’il est que sa mère le confonde constamment avec son père. Tandis que David semble avoir atteint le fond du gouffre, il apprend par l’agence de rencontre qu’une femme, Lisa, s’intéresse à son profil. David reprend espoir.

Lisa et David se rencontrent enfin et lors de leur première soirée, iels discutent et apprennent à se connaitre et s’amusent. David semble enfin vivre. Lorsque Lisa quitte David et ce dernier, au volant de sa voiture, exulte de joie, heureux d’avoir rencontré une amie, peut-être aussi une future petite amie. C’est comme si David accédait enfin à une certaine normealité, répondant à une exigence, à une injonction de nos sociétés, celle de vivre en couple.
La joie de David sera de courte durée. Alors que, très heureux, il se confie à son « ami », celui-ci semble lui reprocher de le délaisser pour Lisa, de ne plus attacher d’importance à leur amitié qui devrait, à elle seule, suffire à David. Le public l’aura compris, c’est évidemment David qui fait les questions-réponses. Il a déjà atteint le point de non-retour. La suite ne sera que la conséquence logique de cet esprit rendu malade par des années de souffrances psychologiques et de son isolement, infecté définitivement par la boue immonde qui s’écoule de la bouche fielleuse d’Andy. La violence et l’horreur qui vont éclater dans la dernière séquence du film, la manifestation évidente de tout cela.
Dénonçant à la fois la « culture » incel et par extension le masculinisme ainsi que la misogynie qui l’imprègnent fortement, la déliquescence des relations sociales qui caractérisent désormais nos sociétés aux réseaux hyper-connectés, mais dans lesquelles les êtres humain·e·s tendent de plus en plus à se déconnecter physiquement les un·e·s des autres, le film de Jon Stevenson frappe par la justesse de son propos. Dans Rent-A-Pal, on s’attache rapidement au personnage de David, sacrifiant sa vie pour sa mère, comme on ressent immédiatement, un grand malaise face au sourire d’Andy et face à cette étrange sollicitude qui émane de son image réminiscente qui phagocyte peu à peu l’esprit de ce pauvre David, distillant une haine et une rancœur pourrissantes qui viendront définitivement détruire sa vie et son espoir d’être aimé.

Car, on l’aura compris, Andy n’est pas un vrai ami, c’est une bombe psychologique et mentale lancée dans les réseaux dits sociaux. C’est toute l’obscurité, la haine qui peut circuler sur Internet et que certain·e·s projettent à travers de cet énorme réseau « neuronal » et mondial. Ces discours de haine peuvent potentiellement éclabousser et contaminer des millions de personnes à une vitesse vertigineuse, une véritable épidémie, une calamité qui poussent des hommes, particulièrement des adolescents ou des jeunes adultes, à commettre des crimes atroces, des tueries, et/ou des agressions violentes sur les femmes.
Le monologue d’Andy correspond aux injonctions et aux normes d’une société patriarcale qui fait de la femme un objet sexuel à conquérir et, qui serait censée satisfaire les besoins de l’homme/le mâle. Ne pas « mettre la main dessus », ne pas pouvoir se l’approprier, révèle non seulement l’incapacité du mâle à imposer sa domination sur elle, mais aussi son incapacité à mériter cette place dans cette « élite » des hommes dits dominants. Au lieu de déverser légitimement cette frustration contre un système injuste et violent qui imposent des clichés de genre à l’ensemble des êtres humains, David rejette sa colère sur les femmes qui, en refusant de se plier à son exigence, deviennent les fausses responsables de ce paradigme patriarcal et de son célibat. David se voit donc rejeté du cercle des « vainqueurs ». Incapable de conquérir ou d’intéresser une femme, il ne peut que mériter sa solitude, son humiliation, son assujettissement à une femme. Le dégoût de la Femme se cristallise alors sur sa mère qu’il rendra finalement responsable de tous ses malheurs.
Porté par un duo d’acteurs excellent, Brian Landis Folkins et Will Wheaton, le Wesley Crusher de la série Star Trek : New Generation, Ren-A-Pal est une oeuvre à la fois tendre et dure dans son propos mais très lucide par rapport aux questions qu’elle pose à notre époque et à nos sociétés. Un film, une dénonciation de la misogynie poussée à l’extrême violence, à découvrir sur Shadowz, la plateforme de screaming.
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