Scare Me (Josh Ruben, 2019) est un film américain de style comédie horrifique qui nous présente un huis clos de nuit particulièrement bien réalisé entre deux écrivain·e·s d’histoires d’épouvante, l’une à succès, l’autre perdu dans ses frustrations et ses échecs. Un duo intéressant avec des qualités et des défauts marqués qui en font des personnages très humains, pour le meilleur et pour le pire…
L’histoire commence avec la retraite dans un chalet de Fred, un rédacteur d’entreprise plus que frustré de n’avoir pas atteint ses objectifs. Son but : écrire son premier roman d’horreur et devenir un véritable écrivain. C’est alors que l’homme fera la rencontre de Fanny, une célèbre romancière très confiante de son talent. Fred est en plein désespoir car sa vie est entrain de s’effondrer (par sa faute, je précise) alors que Fanny apparait comme une artiste à son apogée, ce contraste est très marqué dès le début de Scare Me. Lors d’une panne électrique, le duo se retrouve dans le chalet de Fred et commence alors un concours de sketchs horrifiques pour s’effrayer au coin du feu.

L’homme se fait passer pour un écrivain alors qu’il n’en est pas encore un. Fanny s’en rendra rapidement compte et le mettra à l’épreuve. Frôlant parfois la suffisance, elle s’évertue néanmoins à pousser Fred à percevoir ses histoires différemment et à développer ses méthodes d’écriture afin de lui donner les outils pour que ce nouveau écrivain puisse s’améliorer. Et ça fonctionne… Plutôt bien puisque la grande majorité du film est utilisée à faire vivre ses histoires fantastiques aux yeux des protagonistes. Les personnages deviennent d’ailleurs des observateur·trice·s mais aussi des participant·e·s du récit qui se forme devant eux·elles. Ainsi observer et écouter devient la thématique de Scare Me aussi bien pour ses spectateur·trice·s que ses héro·ïne·s. Et c’est aussi ce que Fanny essaie d’apprendre à Fred tandis que l’homme parait fermé sur lui-même, incapable de fournir les efforts nécessaires pour réaliser son rêve.

Le caractère bien trempé de Fanny révèle à Fred ses propres défauts. Féministe engagée, elle n’hésitera pas à le traiter d’homme blanc cis genré qui pense que tout lui est dû et qu’il pourra obtenir ce qu’il souhaite sans effort. Dans le cadre de l’imagination et de l’art, cette pensée ne s’applique plus réellement et le système ne semble plus être en mesure de le mettre en valeur. Face à cette femme à qui tout a réussi grâce à son travail acharné, Fred se sent soudainement tout petit. Par son imaginaire développé et original, Fanny est le personnage qui débloque presque systématiquement les impros, qui invente ou ajoute des détails et rend les sketches plus intéressants tout en y ajoutant un côté hilarant.
Scare Me sait tromper son·sa spectateur·trice. Lorsque Fanny arrive dans la cabane de Fred, on ignore s’il s’agit d’une œuvre fantastique ou sur le fantastique en tant que littérature. On angoisse de voir quelques créatures ou tueurs fous sortir d’un placard, de la cave ou du grenier se matérialiser soudainement dans la réalité du film. Le Fantastique provient-il de leurs esprits ? Est-ce réel ? Des événements surnaturels ou étranges se sont-ils déroulés dans la demeure des années en arrière ? Lorsqu’on hésite encore entre un thriller sanglant, de l’horreur folklorique, un slasher perdu au milieu de la forêt ou un film de maison hantée, Scare Me se transforme sublimement en une comédie horrifique à en pleurer de rires.
On voit Fred méprisant dès le début de l’œuvre, se moquant de Bettina, la chauffeuse de taxi le déposant à sa cabane lorsqu’elle lui confie qu’elle écrit également. Sa façon un peu maniaque de rechercher des informations sur Fanny sur le net avant de la voir débarquer par une fenêtre de son chalet, sa nervosité presque constante, et les dialogues nous donnent davantage de signaux négatifs à son encontre. Accusé par son ex-copine de violences conjugales, il aurait été dénigré soi-disant à tort et se serait réfugié dans la région pour écrire… Une explication qui ne semble pourtant pas convaincre Fanny. De par sa personnalité forte, Fanny se pose en personnage dominant, responsable de son destin et de sa réussite. Ce qui n’est pas le cas de Fred, qui n’est que dans la fuite et dans le mensonge.
Les tensions atteignent leur comble lors de l’arrivée en scène de Carlo, le livreur de pizza, qui s’avère être un grand fan de Fanny. Ce personnage ajoute un ressort humoristique essentiel à cette comédie hors du commun mais il contribue également à la montée du désespoir de Fred qui n’est pas au centre de l’attention. Lorsque Carlo demande un autographe à Fanny, Fred comprend qu’elle est ce qu’il n’est et ne pourra jamais être, car il ne s’en donne pas les moyens. On retrouve également un personnage noir bien dans ses baskets, drôle, intelligent, travailleur et bien-intentionné. Certains clichés racistes du cinéma américain d’un autre temps auraient pu faire de lui le tueur de l’histoire et peut-être que certain·e·s d’entre-vous ont pu l’imaginer de cette façon lorsqu’il sort de la pénombre, pizza sous le bras, comme surgit des Ténèbres. Néanmoins, il soutient la réussite de Fanny et n’accorde aucune forme d’importance à Fred. L’homme blanc cis genré est ainsi mis de côté… et deux personnages appartenant à des catégories de genre et ethnique systématiquement rabaissées se retrouvent au centre du dialogue. Ce duo respire la joie de vivre et bien que Carlo soit livreur de pizza, il semble au top de son moral et de sa vie. Encore une fois… un coup pour Fred. Ce dernier étant finalement bien moins loti, pitoyable et davantage pauvre que les deux autres protagonistes, ceci renverse l’idée préconçue que beaucoup de gens se font de la criminalité et des classes sociales en Amérique.
Le mal-être de Fred s’accentue alors et les sketchs deviennent de plus en plus déjantés (la coke aidant, il faut l’avouer) jusqu’au dernier acte dans lequel l’horreur devient réelle, palpable. Fred est en réalité un homme violent, frustré qui pensait pouvoir obtenir ce qu’il souhaite sans faire les efforts adéquats. Il s’en prend à Fanny qui malgré ses apparences peut-être bourrues continue d’apprendre du contact des gens et de ses observations.

Tout au long du film, Fanny prend des notes. Inséparable de son carnet, comme tout·e bon·ne auteur·e, elle observe, retranscrit, analyse les situations qui lui sont données de voir. Et dedans, se trouve les idées de Fred…
Au début de l’acte final, on ignore encore si Fred est sérieux ou s’il s’agit là d’un délire. Il menace, parle de lui comme d’un tueur. Il assume enfin sa frustration mais de la pire manière qu’il soit.
Les deux personnages littéraires se montrent tout aussi incorrects l’un·e que l’autre. Néanmoins, le « vol d’idées » de Fanny n’est-il finalement pas que la maturation normale de l’art ? Tandis que la violence de l’homme est quant à elle intolérable. Bien que Fanny ait pu se montrer détestable sur certains points, elle n’a fait que remettre Fred à sa place et la façon dont il réagit, par une violence extrême, désespérée, est bien la preuve qu’elle avait raison dès le départ, qu’il ne supporte pas qu’elle soit au-dessus de lui. Cette violence dont il avait déjà fait preuve avec son ex-copine.
Cet acte de copiage est ressenti par Fred comme s’il avait été utilisé par l’auteure, elle se défendra en retorquant que le travail de l’artiste est d’observer et de ressentir les choses et son environnement. Elle ne lui en aucun cas interdit de prendre des notes, d’analyser son travail et le stimule avec entrain. Ce sont majoritairement les actions de Fanny qui ont permis d’inventer ou de désamorcer la plupart des sketches horrifiques racontés durant cette longue nuit d’hiver alors que Fred n’invente rien, et resonne par clichés sur le monde de l’horreur. Son imagination est bornée à des normes qu’il imagine du domaine de la littérature horrifique. Si Fred a pété les plombs, ce n’est pas parce que Fanny a osé lui balancer certaines réalités au visage mais bien parce que c’était déjà un homme qui avait dépassé le stade des injures et de la violence symbolique pour passer à une forme de violence qui est responsable d’un grand nombre de féminicides. C’est là que les paroles de Fanny sur le symbole de l’homme blanc cis genré et de sa domination symbolique prend tout son sens.
La fin du film marque également toute l’ignorance des autres personnages envers Fred, cet homme blanc cis genré, habituellement au centre d’un système patriarcale, économique, historique et politique. Fanny n’accède pas à sa requête et le laisse mourir seul, sachant qu’il meurt de son propre fait. Bettina, qui viendra vérifier que tout aille bien dans le chalet, fera la découverte du carnet de notes de Fanny sans faire réellement attention au cadavre de Fred vidé de son sang. Et cette chauffeuse de taxi ignorée auparavant par Fred deviendra une grande auteure horrifique à son tour… un livre de récits insufflés par Fred, imaginés par Fanny, agrémenté par Carlo puis réécrits par Bettina. Et si c’était l’union qui faisait la force et l’art ?
Une question demeure en suspens, est-ce parce que c’est l’essence même de l’art que de s’imprégner, et de réactualiser des idées que Fanny prenait des notes ou tout simplement parce qu’elle était en panne d’inspiration ? De même que la panne électrique qui les plongea tou·te·s deux dans l’obscurité, Fanny n’avait-elle finalement pas rejoint cette frustration de la Page Blanche, tout comme l’était son carnet de notes au début de Scare Me, aux côtés de Fred avant même le début du film ?
Scare Me est actuellement disponible sur la plateforme VOD de screaming Shadowz
N’ayant pas vu le film, je me suis contenté de lire la moitié de l’article car tu donnes beaucoup de détails. Et comme tu le décortiqués très bien, j’ai envie d’y goûter 😉.
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Il est super original ! Les acteur.trice.s sont aussi hyper convaincant.e.s dans leurs rôles 😊 je te le conseille 1000 fois !
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