Après l’horrifique Marianne, Netflix nous offre un nouveau joyaux fantastique français : La Révolution de Aurélien Molas diffusé depuis 16 octobre 2020 sur la plateforme de streaming mondiale. Mélangeant faits historiques, ambiance fantastique, intrigues politiques et atmosphère cauchemardesque, la série met en scène des personnages romanesques et engagés, des costumes forts sympathiques, ainsi qu’une esthétique éthérée et fantasmagorique. La chronique contée dans La Révolution nous fait ainsi douter de ce qui est écrit dans les livres d’Histoire comme le dit l’adage bien connu « ce sont les vainqueurs qui réécrivent l’Histoire ». Cette uchronie se déroule en 1787 dans le royaume de France.
Un jour viendra où les esclaves briseront leurs chaînes, où les damné.e.s de la Terre s’uniront pour faire entendre le cri de leur révolte.
Madeleine, Chapitre I – Les origines

La trame nous fait suivre la position délicate d’Élise de Montargis, une jeune femme cherchant à protéger sa « petite sœur » du nom de Madeleine (la narratrice de l’histoire) d’un oncle et d’un cousin tyranniques ; de Joseph Guillotin (dont le nom sera utilisé pour nommer la guillotine), un médecin chargé d’enquêter sur de mystérieux meurtres ; Katell, une aide-soignante appartenant à une rébellion armée et Marianne, la cheffe de la Fraternité, déterminée à renverser le pouvoir en place tandis qu’un virus inconnu et étrange se propage au sein de la noblesse. Au-delà de l’univers fantastique de cette révolution fantasmée, c’est le message politique qui compte davantage. Comme l’affirme son créateur, Aurélien Molas, La Révolution est d’abord un récit politique et social.
Et cette période de l’Histoire française a été un tel basculement humaniste. J’avais aussi envie de raconter l’histoire d’une jeunesse qui se révolte, qui tente de briser un plafond de verre au nom d’un idéal résumé par cette phrase de la Constitution: “Les hommes naissent libres et égaux en droit”. Un idéal tellement positif et flamboyant qu’il irrigue non pas que l’histoire de France, mais celle du monde entier. Et cela me passionne.
Joseph, homme de science, en apprend davantage sur cette maladie étrange, nommée le « sang bleu ». Ce virus aux effets dévastateurs transforme peu à peu les aristocrates en créatures sanguinaires, immortelles et puissantes. Entre zombies et vampires, ces nobles s’attaquent alors aux « petites gens » avec la complicité de la Maréchaussée. De plus en plus affamé.e.s, apeuré.e.s et appauvri.e.s par des taxes grandissantes, la population se meurt et un groupuscule, la Fraternité, va prendre les armes. Cette situation révolte peu à peu le tiers-état ainsi qu’une partie plus progressiste de la noblesse qui lutte pour qu’une égalité de droits puisse se mettre en place. Le décors fantasmagorique de cette série Netflix ne semble être qu’un prétexte à un discours révolutionnaire. Une allégorie du conservatisme noble face à un progressisme du peuple dans une fable historique mêlant gore, magie et intrigues politiques.
[…] Je ne veux rien oublier. Il faut que quelqu’un quelque part se souvienne. Ce que l’histoire m’a appris, c’est que les siècles sont façonnés par ceux qui n’ont pas peur. Ni de mourir pour une cause ni de se battre pour la Justice. Il suffit alors qu’un seul homme se dresse pour que le peuple se soulève à son tour et à cet instant précis, croyez moi, tout deviendra possible.
Madeleine, Chapitre II – Le revenant

La grande majorité des dialogues entre protagonistes est accès sur la description des relations économiques et sociales qui définissent les enjeux de pouvoir de cette société française royaliste et puritaine. Une touche omniprésente de Féminisme est présente dans La Révolution. Mettant en scène des personnages féminins intelligents, pleins de ressources et d’hardiesse, la série insiste sur les injustices sociales et décrit la condition des classes économiques et sociales plus pauvres, déterminées de par leur naissance, à une vie de servitude. Il est en de même pour la place des femmes. Elise, même comtesse, doit obéir aux volontés de son oncle et de son cousin, et doit se soumettre au mariage d’alliance en dépit de ses sentiments. Katell le fera remarquer à son amant, Joseph : lui au moins à pu choisir d’étudier la médecine. Bien qu’orphelin, il n’en demeure pas moins privilégié de par son genre. Pour elle, l’important ne serait pas tant de supprimer les différences mais au moins de les reconnaître et de faire prendre conscience que des inégalités se cumulent. Profondément féministe, elle lui fera également remarquer qu’elle n’est pas responsable de ce qu’il s’imaginait à son propos.
Cette œuvre qui bien que uchronique dépeint les vraies causes de la Révolution française que sont la faim et l’oppression. Lorsque les inégalités touchent au bien-être d’un plus grand nombre, que les enfants viennent à mourir de faim, la peur ne laisse plus d’autres alternatives.
Un froncement viendra taquiner nos sourcils lorsque Katell et Joseph discuteront de l’innocence d’Oka, un ancien esclave africain, accusé à tort pour servir de bouc-émissaire tant la situation rappelle le monde dans lequel nous vivons encore maintenant. La Révolution a-t-elle réellement changé la France ? La bourgeoisie s’est substituée à la noblesse et cette minorité dirige, encore aujourd’hui, une grande majorité de la population autodéterminée par des lois protectrices du capital, à servir les intérêts d’une minuscule élite économique. Le séparatisme ne viendrait-il pas de cette communauté dirigeante aux mains d’un système plus injuste qu’égalitaire ?

Katell – Pourquoi tu tiens tant à sauver ce prisonnier ? Tu ne le connais même pas.
Joseph – Il est innocent, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir.
Katell – Il n’est pas le seul.
Joseph – Qu’est-ce que tu veux dire ?
Katell – Que ce sont les puissants qui décident de qui est coupable et qui ne l’est pas.
Joseph – C’est des discours dangereux ça, Katell.
Katell – Mais vrais. Et tu le sais. Les nobles ne sont qu’un pour cent et pourtant ils détiennent 99% des richesses. Les lois sont faites pour eux et par eux. Tu trouves ça juste, toi ?
Joseph – Je n’ai pas dit ça non plus.
Katell – Mais tu préfères te taire.
De son côté, Donatien, cousin de la comtesse de Montargis et instigateur d’une nouvelle noblesse ensanglantée, fera remarquer à son père que le peuple les a toujours nourri. Que ce soit de cette manière ou d’une autre, qu’est ce que cela peut bien changer ? Que ce soit grâce à leurs corps, leurs sangs ou leurs forces de travail, c’est bien le peuple qui permet à ces privilégié.e.s de vivre et de manger. Un groupe de nobles conservateurs masculins à la botte du roi émerge alors. Parmi eux, un léger mouvement progressiste au sein d’une noblesse inquiète de voir le peuple se révolter et qui voyait en Élise un symbole d’une Femme Providentielle est vite étouffée avec violence. De l’autre côté, un groupuscule de progressistes et de révolutionnaires, la Fraternité, dirigé par une femme, Marianne, comptabilise tou.te.s les humilié.e.s et les bafoué.e.s de la dernière Monarchie Absolue. De quoi donner un bel aperçu de nos tendances politiques passées et actuelles ! On sent ici tout l’engagement politique du réalisateur. Critiquant à tour de rôle, le sort des migrant.e.s et la violences des passeurs, la répression et la corruption de la Maréchaussée qui obéit aveuglement aux ordres de cette noblesse décadente et égoïste, le triste statut des femmes obligées de se conformer aux volontés d’un père, d’un oncle, d’un mari, d’un frère, et aussi la misère des enfants du peuple. Joseph, respectant le serment d’Hippocrate avant toute chose, semble être le seul personnage doué d’une éthique claire : ne pas causer la mort et la destruction. Il le dira lui-même à Albert, son frère adoptif et ancien amant d’Élise : on s’habitue à sauver des vies aussi bien qu’on s’habitue à les ôter.
Oka – Nous devons fuir. Maintenant.
Joseph – Peut-être que nous devons fuir, en effet. Mais une chose est sûre, c’est que si nous partons la seule chose que nous pourrons espérer, ce sera de survivre en nous cachant. Mais nous verrons se propager l’épidémie la plus terrible, la plus meurtrière et la plus injuste que l’humanité ait jamais connue. Ou alors, nous luttons. Non pas pour nous. Ou pour nos vies. Mais pour une cause bien plus grande encore. Les autres. Ces hommes et ces femmes que nous ne connaissons même pas et qui probablement n’apprendront jamais notre nom. Alors, oui, nos ennemis sont très riches, et très puissants, mais je vais vous faire une confidence. Ils nous craignent. Parce qu’ils savent que si nous unissons nos forces, nous sommes infiniment plus nombreux qu’eux. Assez nombreux pour essayer d’empêcher le pire.
Et ce sera le début d’une révolution. La faim devient la thématique principale de la série. Une faim qui pousse à la folie, une faim qui pousse à la révolution mais aussi au meurtre. La faim des Sang-Bleus serait-elle représentative de la soif de pouvoir des puissant.e.s ? Insatiable, dangereuse et malsaine, elle les pousse à se nourrir du tiers état, à l’exploiter comme du bétail. Cette faim dévorante se démarque de celle des enfants du peuple, satiable, répressible en échange d’un peu d’égalité. Un combat pour les droits, l’abolition des privilèges, la Justice et la Liberté se met alors en route.
Toute ma vie, j’ai vu des hommes humiliés, j’ai vu des esclaves qu’on menace, des femmes que l’on jette dans la boue. J’ai ressenti en eux cette colère silencieuse. Je l’ai observée grandir chaque jour dans leurs cœurs. Ce que les puissants ignorent c’est qu’un jour, ces colères vont s’unir. Ce n’est pas une prédiction, c’est une certitude. Les voix de milliers d’anonymes s’élèveront alors pour dire : « Non, je ne me soumettrai plus ». Et les esclaves de hier deviendront les révoltés d’aujourd’hui.
Madeleine, Chapitre XVIII – La révolte

Une série française hautement engagée qui transforme un fait historique en fable fantastique de qualité, qui questionne l’ordre établi, qui met en parallèle des phénomènes si présents encore aujourd’hui en 2020 qu’elle pousse à la remise en question de la « normalité ».
L’oncle d’Élise, en bon essentialiste, ajoutera que le peuple ne se souviendra pas que la comtesse chercha à chambouler l’ordre établi. Soulignant que cette opposition fort/faible, riche/pauvre découle d’un schéma dit « normal », d’un dessein divin, l’oncle légitime ses privilèges et avance un conservatisme à toutes épreuves. Naturel, non. Culturel, sans aucun doute. Les sociétés changent inexorablement par la volonté de l’humanité. À voir quelle cause sera la plus défendue par la grande majorité des êtres humains. Comment ne pas y voir une critique de nos sociétés contemporaines ? Ou encore, un questionnement sur la véracité de l’histoire écrite dans nos manuels scolaires par les vainqueurs et pour leur légitimité. Et si, tout ce qu’on nous apprenait n’était qu’un mythe républicain pour cacher des vérités bien moins glorieuses ? Et si nous vivions dans un simulacre de République, s’indigner ne serait-il pas nécessaire ? Lorsque les soi-disant valeurs républicaines sont réutilisées à des fins d’embrigadement et d’intolérance ? Lorsque nos libertés nous sont confisquées au profit d’une accumulation des richesses d’une « noblesse » qui elle ne risque rien, se protégeant dans ses manoirs de marbre ? Lorsque la vie humaine devient un outil au service des intérêts du capital ? Une œuvre d’art politisée à déguster sans modération.

Ça donne envie de voir cette série !!
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une série que j’ai beaucoup aimé!!!
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Elle a été beaucoup critiquée alors qu’elle est juste sublime ! Et très engagée 😊
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