Après une remontée en puissance de l’intrigue et de l’ambiance star trekienne comme à son origine dans les deux épisodes précédents, Star Trek: Picard, saison 1, se termine en une merveilleuse apothéose de bon sens, de courage et de bienveillance sur un fond de discours éthiques sur la vie dans toutes ses formes.
L’épisode 8 de la saison 1 se concentre sur les prémices du double-épisode final, via des révélations essentielles au bon déroulement de l’intrigue mais aussi aux enjeux du combat en approche. Un épisode de fait, plutôt calme, axé sur l’histoire, la communication entre les personnages et les diverses interrogations qui découlent de l’existence de Soji et de ses pair.e.s.
Rios et Raffi voient Soji et Picard rentré.e.s sur le pont de La Sirena. C’est alors que Rios se comporte étrangement. De vieux souvenirs douloureux semblent revenir à la surface et c’est avec l’aide et la curiosité de Raffi que la vérité éclatera : La Fédération était déjà au courant de l’existence des frères et sœurs de Soji et avait donné l’ordre à l’ancien capitaine de Rios à bord de l’USS ibn Majid, de tuer l’ambassadeur Belle Fleur et Jana, autre modèle identique à Soji. Après quoi, profondément déçu par la Fédération et ce qu’il avait fait, le Capitaine de l’USS ibn Majid se tira une balle dans la tête. Rios fit disparaître les corps comme le suggérait les ordres de Starfleet et se fit viré quelques mois après les faits. Une trahison de la Fédération d’autant plus grande qu’elle allait contre la célèbre Directive Première, à savoir ne pas interférer avec la culture ou les civilisations d’autres espèces. On en apprend également davantage sur le groupe de Romuliens fanatiques issu du Tal Shiar, le Zhat Vash (déjà connu dans Next Generation pour son animosité envers les synthétiques), auquel le Commander Oh et Narissa, la sœur de Narek, ainsi que sa tante font partie. Un groupe mystique ayant trouvé the Admonition, visions d’un « enfer » causé par les synthétiques qui recherche depuis de nombreuses années la planète d’origine de Soji et des sien.ne.s. Seven retourne sauver Elnor dans le cube Borg et prend le contrôle de l’artefact en fusionnant, une nouvelle fois, avec le Collectif.
Picard découvre alors la machination dont Agnès a été victime par la cheffe de la sécurité de Starfleet Oh, une métisse mi-vulcaine mi-romulienne, agente du Tal Shiar et membre cabalistique du Zhat Vash (un peu beaucoup de statuts à la fois). Le conflit armé sur Mars est bien l’oeuvre des Romuliens. Terrifié.e.s à l’idée de voir des êtres synthétiques prendre le pouvoir, les membres du Zhat Vash ont orchestré cette tuerie et ainsi orienté la Fédération des Planètes Unies vers une politique xénophobe.
Agnès lui expliquera que les visions dont elle a été victime appartiennent au passé et non pas à un futur hypothétique. C’est là toute l’importance de cette information : le futur n’est pas immuable et Jean-Luc sait qu’il est encore en son pouvoir d’éviter une paranoïa et un combat armé d’envergure entre les biologiques et les synthétiques. Néanmoins, il ne pardonnera pas pour autant les actions de la Fédération ni les crimes du docteur Jurati. Si elles se sont laissées berner, c’est parce qu’elles ont succombé à la peur. La Fédération n’aurait pas dû interdire les formes de vies synthétiques et encore moins les traquer dans l’ombre. Un beau discours suit alors sur le fait que « ne pas avoir le choix » de réaliser une action que l’on sait mauvaise n’est qu’une forme d’hypocrisie. On a toujours le choix de changer le cadre et d’imaginer la meilleure solution, quoi qu’il en coûte, plutôt que d’obéir aveuglement à des ordres ou à sombrer dans la peur, comme le font les Romuliens avec leur étrange prophétie de la fin du monde. Picard le dit lui-même : bien que trahi.e.s par la Fédération, il leur reste l’ouverture d’esprit, l’optimisme, la curiosité et l’imagination, caractéristiques essentielles de l’espèce humaine. Comme toujours, l’ancien capitaine de l’Enterprise nous entraîne dans une merveilleuse aventure éthique. Cet épisode du nom de Broken Pieces réunit bien les morceaux du scénario, tout en nous donnant des nombreux clins d’œil à l’univers Star Trek, pour en faire ressortir toute la consistance.
Les épisodes 9 et 10 constituent le double-épisode final du nom de Les Bergers d’Arcadie (Et in Arcadia Ego). Ces deux derniers épisodes de la saison 1 donneront les dernières informations nécessaires à la compréhension d’une intrigue bien réalisée, mettant en avant de nombreuses thématiques philosophiques et sociales, avec de l’humour, de l’action, du pathos à gogo, et des discours chargés de bon sens.
Agnès accepte d’être jugée sur Deep Space 12 dès leur arrivée sur la station spatiale. Mais Soji en décidera autrement. La jeune synthétique demande à l’équipage de l’accompagner vers son foyer afin de les prévenir de la menace qui pèse sur les membres de son espèce. Picard accepte, disant qu’il est temps de tester la Soji’s Way et La Sirena se dirige vers un tunnel intergalactique les propulsant à 25 années-lumière de leur position initiale, suivi par le vaisseau romulien en embuscade. Le cube Borg, contrôlée par Seven of Nine (accompagnée d’Elnor) entre dans la distorsion à son tour, à la rescousse de La Sirena. Des formes de vies synthétiques à l’allure d’orchidées géantes viennent alors à leur rencontre, aspirant l’énergie des bâtiments spatiaux et provocant leur chute sur la planète de Soji.
La solidarité, la confiance et l’envie de découverte qu’inspire Jean-Luc Picard reviennent en force avec la découverte du monde de Soji et de sa patrie, des synthétiques créé.e.s par le docteur Soong et son fils, vivant paisiblement sur la planète Coppelius. Apeuré.e.s par l’arrivée imminente des Romuliens et par cette rencontre avec des formes de vies biologiques, la communauté synthétique semble perdue. Ayant pris connaissance des visions causées par the Admonition dans l’esprit du docteur Jurati, Sutra, sœur jumelle de Jana, comprend rapidement qu’il s’agit d’un avertissement d’une apocalypse pour les créatures biologiques mais surtout d’une promesse de sauvetage pour les êtres synthétiques : des puissances synthétiques supérieures les regardent et seront prêtes à détruire toutes les formes de vie biologiques de la galaxie lorsque ces dernières franchiront le seuil. Ce passage dans la civilisation biologique (à l’instar de l’apprentissage des moteurs à distorsion) durant lequel, cherchant l’évolution propre à leur espèce, les êtres biologiques auront créer la vie synthétique, en auront pris peur et chercheront à exterminer leurs créations. Comment faire pour ne pas y voir une grande inspiration Mass Effect ? Et d’imaginer en la figure de ces êtres supérieurs synthétiques l’imposante présence des Moissonneurs ? Un bel ajout à l’univers Star Trek dont les épisodes traitant de l’intelligence artificielle et synthétique ont toujours eu, énormément, d’avance sur l’opinion publique et les mœurs de nos sociétés humaines1. Une volonté propre à leur créateur, Gene Roddenberry, véritable visionnaire humaniste, socialiste, anti-capitaliste et défenseur de la diversité sous toutes ses formes (d’espèces, de formes de vies diverses, d’ethnies, de genres, de transgenres, etc.).
Sutra décide alors de faire le choix utilitariste, quitte à tuer l’une de ses sœurs pour arriver à sauver les êtres synthétiques. Pour elle, la fin justifie les moyens et elle ira convaincre l’ensemble de sa communauté de fabriquer le signal, permettant d’appeler les êtres synthétiques supérieurs qui iront détruire l’ensemble des formes de vie biologiques, brûlant les planètes et détruisant la matière organique.
Échappé de Synthville (comme Raffi la nomme) avec l’aide de Sutra, puis reparti au cube Borg pour saluer sa sœur, Narek rejoint Rios et Raffi dans un seul but : sauver l’univers des organiques. L’agent du Tal Shiar donnera alors son interprétation des visions de the Admonition. Pour lui, il ne s’agit pas d’un mythe mais bien d’une partie de l’Histoire galactique. Un cycle de peur et de destruction qui recommence sans fin. Un espèce de Ragnarök romulien qui décrit également l’arrivée du Destroyer, une sœur jumelle démoniaque convoquant les « Grands Démons » venus d’un autre monde, qui iront détruire les civilisations et dévorer les êtres biologiques.
Même si la Fédération des Planètes Unies a bafoué ses propres valeurs et qu’une armée de synthétique surpuissante est sur le point de débarquer, Picard n’abandonne pas pour autant. Si la Fédération a sombré dans la peur, en interdisant la création de formes de vie synthétiques, ce n’est pas une raison pour que Picard laisse son équipage et les habitant.e.s de Synthville se consumer par l’instinct de survie ou la colère engendrés par cette peur. Car, comme dirait un petit sage vert d’une autre saga de renom La peur mène à la souffrance, la souffrance mène à la colère, la colère mène à la haine et la haine mène au côté obscur de la Force. Picard, quant à lui, rappelle l’importance de l’intentionnalité et de la conscience face à un choix difficile. Un mal pour un bien n’existe pas dans son vocabulaire et il s’appliquera à faire comprendre à Soji qu’on ne sauve pas une vie en en prenant une autre.
Comme il le confiera à Agnès, ces synthétiques sont tel.le.s des enfants, renié.e.s par leurs parents prêts à les massacrer par peur de leur puissance et terriblement angoissé.e.s à l’idée de se faire exterminer par leurs créateurs.trices. Ce qu’il leur faut c’est un exemple à suivre. Échappé de la surveillance des synthétiques, et au bout de ses forces2, Jean-Luc prendra le contrôle de La Sirena avec l’aide du docteur Jurati et s’élèvera contre les forces romuliennes arrivées dans le but de « stériliser » toute la planète. Tout en clamant à Soji qu’elle a encore le choix, qu’elle ne doit pas devenir le Destroyer que les Romuliens pensent si ardemment qu’elle représente, l’amiral à la retraite tentera une technique inspirée de son service sur son ancien vaisseau, le Stargazer, pour embrouiller la flotte romulienne. C’est alors qu’une centaine de vaisseaux de la Fédération débarquent et sauvent de justesse La Sirena. L’appel de notre amiral n’a pas été vain au final. Plaidant la cause des synthétiques de toute son âme, Picard a bien fini par convaincre de nombreux capitaines de la Fédération dont son cher numéro 1, William Riker, réintégré à Starfleet afin d’épauler son ancien capitaine qui lui a toujours donné l’exemple à suivre.
Les vaisseaux romuliens se retirent donc et Soji, voyant le sacrifice que Jean-Luc est prêt à réaliser en offrant sa vie pour sauver sa communauté, détruit le signal. Le portail menant les étranges formes de vies synthétiques supérieures au lieu de la bataille spatiale se ferme alors. De par sa confiance en Soji, Picard a profondément participé à son choix final : renoncer à détruire la vie biologique au profit d’une autre. Et ainsi refuser de devenir le destructeur de mondes. Picard, athée et philosophe, ne croit pas au destin puisque nous sommes ce que nos rêves nous permettent d’être. Un rejet de l’essentialisme flagrant, pensé par les Romuliens et une Fédération apeurée, au profit d’un constructivisme positive indissociable du célèbre capitaine de l’Enterprise. Laissant une place essentielle à l’imagination, la bienveillance et le courage dans les comportements des êtres vivants organiques ou non, Picard prouve encore son élan progressiste car, même au XXIVe siècle, personne ne semble à l’abri de politiques et de pensées xénophobes et intolérantes. Au préalable seul contre tou.te.s, Picard a réussi à atteindre son but : la paix et l’égalité dans la galaxie.
Épuisé par son combat acharné, Picard succombe alors dans les bras de ses nouveaux.elles camarades et se réveille dans une simulation neuronale extrêmement élaborée dans laquelle il retrouvera Data, reconstitué grâce à un seul de ses neurones positroniques. Des retrouvailles émouvantes sur la thématique de l’amour, du sacrifice et de la solidarité mais aussi de l’importance de la vie, éphémère et biologique, celle qui permet aux êtres vivants d’aimer, de sentir, de se lier d’amitié et de ressentir du bonheur. Data confie alors à son ancien capitaine que le docteur Soong junior accompagné du docteur Jurati a réussi à capturer l’image neuronal de son cerveau juste avant sa mort et qu’une renaissance en tant que synthétique l’attend après avoir quitté la simulation. Il demandera alors à Picard d’éteindre définitivement le processus après avoir rejoint la réalité. Promesse tenue par Jean-Luc qui ne tarira pas d’éloges sur son ancien compagnon et sur la fascination de ce dernier pour les émotions humaines tout en désactivant ce qu’il reste de Data.
La saison de 1 de Star Trek: Picard s’achève donc sur la résolution positive d’une thématique philosophique de qualité, opposant utilitarisme et éthique, essentialisme VS constructivisme, et mettant en scène, une fois encore, la force morale d’un Picard humaniste, progressiste, soucieux de l’harmonie et prêt à tous les sacrifices possibles pour arriver à une entente, un compromis viable, entre TOUS les êtres vivants. Une ode à la vie sous toutes ses formes, à la compréhension, et à l’égalité qui rend un bel hommage à son ancêtre, Star Trek: Next Generation 💜
Dans la séquence finale, la Fédération lève l’interdit appliqué contre les formes de vies de synthétiques et c’est alors parti pour une nouvelle aventure en compagnie de l’ancienne Borg Seven et de sa nouvelle amoureuse Raffi3, des humain.e.s Rios et Agnès, du romulien réfugié Elnor et de deux synthétiques : Soji et Picard. Engage !
1 L’univers Star Trek comptabilise à ce jour : le premier baiser inter-ethnique à l’écran dans les années 60 avec la série originelle, le premier système fédéral anti-capitaliste, humaniste qui plébiscite l’ingérence des autres cultures, l’égalité des droits pour tout être vivant et une justice impartiale dès le début de la saga, la première relation transgenre à l’écran dans les années 80 avec Riker et Soren dans Next Generation (mettant aussi en scène des relations polyamoureuses et non-genrées ainsi que la première intelligence artificielle à posséder des droits égaux à ceux de l’espèce humaine avec Data), le premier homme noir à un haut poste de pouvoir avec le Capitaine Sisko dans Deep Space Nine et la figure de la femme forte dans Voyager avec la Capitaine Janeway dans les années 90. Star Trek continue de nos jours à être en avance sur son temps sur le traitement des formes de vies dans leur globalité. Le synthétiseur, présent dès le début de la saga, ayant également permis aux habitant.e.s de la Fédération d’arrêter l’élevage et l’abattage d’animaux et d’autres êtres vivants pour subvenir à leurs besoins primaires 💚
2 Souffrant d’une maladie du cerveau incurable, Picard annonça la nouvelle à son équipage, tout en leur faisant jurer de ne pas agir comme s’il était mourant, cherchant une dernière fois à vivre une aventure comme au bon vieux temps. Apportant ainsi une dernière pierre à son édifice de justice et d’égalité, Picard continua à agir, à convaincre, avec diplomatie et bravoure les synthétiques, les dignitaires de la Fédération mais aussi ses nouveaux et nouvelles camarades.
3 Sans doute unies par leur amour réciproque de l’alcool !
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