Ju-On: Origins, la figure du fantôme féminin nippon

La nouvelle série Netflix Ju-On: Origins (2020), énième remake de la célèbre saga de J-horror initiée par Takashi Shimizu en 2000, reprend le thème abordé dans chaque opus : une maison hantée par une rancune si puissante que rien ne peut l’apaiser. La raison de cette terrible malédiction étant, dans chaque opus, la colère d’une femme et de son enfant injustement assassiné.e.s par un mari, un père, un beau-père devenu fou de jalousie. Ju-On Origins va encore plus loin que ces précédents opus avec un amoncellement de crimes, de meurtres de femmes enceintes, dont l’enfant a été arraché vivant du corps de la mère puis enterré loin d’elle, par un homme jaloux, père ou non, voulant détruire ce lien qui unit une mère à son enfant. Néanmoins, la femme ne s’arrêtera pas, et continuera, même en fantôme, à chercher son enfant afin de reposer près de lui. Une série Netflix qui reprend donc les codes de la saga Ju-On, de la mère dévastée à l’enfant perdu.e, en passant par une temporalité sur plusieurs décennies (chaque crime ayant ajouté une pierre à l’édifice de cette malédiction, mondialement connue sous le nom de ju-on ou mauvais œil en japonais).

La tradition des fantômes onryô féminins vêtues de blanc, cachant leurs visages derrière de longs cheveux noirs, s’inspire de légendes bien plus anciennes que les premiers kaidan-eiga des années 1950 (Le Manoir du chat fantôme, Kuroneko et le sublime Kwaidan en tête) et de ceux du renouveau de la J-horror des années 1990-2000 avec les maîtres de l’horreur nippons : Takashi Shimuzu (créateur de Ju-on, de la figure de Kayako et Toshio Saeki), Hideo Nakata (Dark Water, et l’imminente figure de Sadako de la saga Ringu/The Ring), Masayuki Ochiai, Tsuruta Norio, Hiroshi Takahashi et Kiyoshi Kurosawa (Rétribution ou encore Le Secret de la chambre noire avec, encore une fois, cette figure de la Femme en Rouge ou du fantôme de la jeune française, Marie). Ces figures ont toutes en commun le fait d’avoir été tuées injustement par des hommes de leur entourage. Le théâtre traditionnel et kabuki mettant en scènes d’anciennes légendes de fantômes nippons, ainsi que des ukiyo-e d’Hokusai (célèbres estampes fantastiques) reprenaient déjà la légende d’Oiwa. C’est notamment le cas de Tsuruya Namboku IV (1755-1829) avec ses pièces de kabuki : Fantômes du marais de Kasane (repris par Hideo Nakata dans son film Kaidan) et Yotsuya Kaidan qui reprend l’histoire d’Oiwa, fantôme féminin trahie par son mari, défigurée par la prétendante de son époux, violée par son serviteur, puis assassinée par tout ce beau monde. Une adaptation de cette légende par Takashi Miike en 2014, Over Your Dead Body, nous plonge dans une mise en abîme de cette malédiction, avec un film traitant des acteurs et actrices d’une pièce de théâtre kabuki, jouant le Yotsuya Kaidan. Ou encore les écrits de Lafcadio Hearn, premier étranger à recevoir la nationalité japonaise, qui réalisa un réel travail de compilation anthropologique des récits étranges, fantastiques et horrifiques du Japon dont Kwaidan fait figure de recueil. Le J-horror de ses origines aux grosses productions cinématographiques et littéraires actuelles a souvent été une histoire de femmes trahies et sauvagement assassinées, et d’enfants innocent.e.s, subissant la violence des hommes. »

Dans Le Secret de la chambre noire (2016) de Kiyoshi Kurosawa, la jeune Marie, sert de véritable poupée à son père, artiste photographe, qui l’utilise pour des séances photos douloureuses, allant jusqu’à l’empoisonner pour qu’elle soit la meilleure modèle possible. C’est aussi l’amour que lui porte, Jean, le jeune assistant de son père, qui causera sa perte. Faisant écho à la femme du détective dans Rétribution (2006), ces fantômes sont prisonnières de l’homme qui les a aimées, qu’il soit un père, un beau-père ou un mari. Sadako connaîtra le même destin dans la saga Ringu de Hideo Nakata initiée en 1998 : fille d’un kami de l’Océan et d’une humaine, Sadako devra subir la haine de son beau-père, qui n’accepte pas la trahison de son épouse. Séquestrée, puis jetée vivante au fond d’un puits, la jeune fille maudira de toutes ses forces cette injustice en devenant l’un des fantômes les plus connus de la pop culture.

Les fantômes de Ju-On, habituellement représentés par Kayako (une mère tuée par un mari jaloux), Toshio et son bakeneko (l’enfant noyé avec son chat par son père), deviennent de plus en plus nombreux avec la série Netflix, prenant une dimension encore plus engagée qu’auparavant, mélangeant violences conjugales avec la thématique du viol, des abus sexuels, de la drogue et de la prostitution au Japon.

Ju-On: Origins, une remontée dans le temps à l’origine de la malédiction

L’intrigue débute en 1988, avec un viol. Kiyomi vit seule avec sa mère, qui prétend avoir tout abandonné pour l’élever tout en accusant sa fille d’avoir osé séduire son mari (donc son père) ainsi que son professeur de lycée. La jeune fille, fuyant la bonne ambiance familiale, devient rapidement amie avec deux de ses camarades féminins. Ces dernières, jalouses de la qualité de son ancien uniforme scolaire, vont alors organiser une horrible vengeance. Prétextant aller visiter une ancienne maison maudite, les deux lycéennes demandent de l’aide à Yudai, un jeune voyou, le petit ami de l’une d’elles. Elles vont organiser le viol de leur camarade de classe par ce dernier. Après le viol et plusieurs événements étranges au sein de la maison, les deux lycéennes disparaissent mais Kiyomi (ayant aperçu le fantôme de la maison en se réfugiant, après son viol, dans le placard à l’étage, menant au grenier) demandera à son violeur d’assassiner sa mère, faute de quoi elle ira le dénoncer à la police. Des années plus tard, en 1994, on retrouve cette jeune femme brisée, maintenant en couple avec Katsuji, un homme violent et alcoolique, et un petit garçon sur les bras. C’est maintenant à son tour de prendre sa revanche sur l’homme qui a détruit la vie de son fils, Toshiki (à l’hôpital, dans une sorte de coma suite à des violences de son père) en l’assassinant, dans la baignoire de la maison maudite (endroit où elle avait élu domicile pour se prostituer). Un terrible destin que lui laissera vivre les fantômes de Ju-On durant bien plus d’années qu’il leur en faut d’habitude pour faire disparaître leur proie. La raison est que Kiyomi apparaît comme l’une des leurs : une jeune femme détruite, maudite, par la violence avant même d’entrer dans la maison. Une jeune femme qui devra subir la haine, le viol, la drogue, la prostitution et la perte de son enfant avant de comprendre ce qu’ont subit ces fantômes vengeurs.

Les enfants, qu’ils soient fœtus ou plus âgé.e.s sont en première ligne : des êtres innocents souvent brisés par la violence et la perversion adultes. Leurs morts conduisent leurs mères, avides de vengeance et qui ont sombré dans un profond désespoir, à les venger, à rester auprès d’eux même dans la mort, et à maudire chaque personne ayant le malheur de franchir le pas de leur maison. Tandis que dans les précédents opus, cette vengeance semblait aveugle, elle prend un sens bien différent dans Ju-On Origins. Le fantôme de Toshiki (une projection astrale) apparaîtra plusieurs fois pour prévenir du danger et dire à son père de fuir au moment où sa mère aura décidé de mettre un terme à sa vie, et de venger les violences qu’elle et son enfant ont subies. Détruite, Kiyomi, seule dans la maison maudite, implorera qu’on lui permette de repartir à l’époque du lycée. Ses deux camarades tuées par la malédiction, celles qui avaient organisé son viol, la rejoignent alors et l’emmènent avec elles.

Le début de la malédiction commence, en réalité, en 1952 : le fils d’un propriétaire d’immeuble prend une femme en otage dans la maison, la maltraitant sexuellement durant une longue captivité. La femme tombe alors enceinte et décède peu de temps après…. les inspecteurs supposeront que le bébé, introuvable, est également décédé bien qu’ils ne retrouvent pas le corps de l’enfant. Ce qui place donc les origines de Ju-On avant les fantômes de Kayako et Toshio Saeki. Au final, peut importe quelle famille a démarré cette malédiction, le message de Ju-On est que le cycle recommence, sans fin, encore et encore, à cause de cette haine et de cette colère, débutées par la jalousie d’un homme ne pouvant pas se contrôler.

Étrangement, ces fantômes féminins vont en laisser en vie certain.e.s, leur demandant de les enterrer à côté de leur progéniture pour trouver le repos ou ceux.celles cherchant à faire entendre leurs cris de désespoir par la revanche ou par l’éclatement de la vérité (comme c’est le cas de l’un des protagonistes principaux, Yasuo Odajima, écrivain et chercheur du paranormal, ayant vécu dans la maison durant les années 1960). Ajoutant à ce renouveau de la saga Ju-On, la notion de responsabilités et d’établir les faits et la vérité, ce qui protégerait de la malédiction, à priori aveugle, de ces fantômes féminins résonne avec les problématiques actuelles des femmes et de leur égalité face à la justice et à la culture du viol. Ce personnage apparaîtrait donc comme un porte-parole (masculin, malheureusement…) de cette souffrance où chacun devrait prendre sa responsabilité (du meurtrier à l’agent immobilier, ok boomer, qui n’a aucun scrupule à mettre cette maison en location).

Après la disparition de Kiyomi, le ju-on ou tatari prend alors de l’ampleur et se propage aux voisin.e.s, la famille Masaki. Keichi apprend que l’enfant que porte sa femme n’est pas de lui et qu’elle désire divorcer. Une nouvelle qu’il ne supportera pas, il assassinera son épouse en enlevant le bébé du cadavre avant d’aller l’enterrer dans le jardin de la maison maudite. Un autre bébé séparé de sa mère qui viendra grossir la puissance de la malédiction. Cet acte criminel rappelle sans aucun doute le meurtre originel de 1952. En 1997, c’est au tour de Tomoko, enceinte et de son mari, locataires de la maison, de faire l’expérience de ces phénomènes surnaturels. Yasuo (notre enquêteur en paranormal), Haruka (la femme d’une des victimes de la malédiction) et Michiko (une voyante) feront alors leur apparition pour essayer de protéger cette nouvelle famille de ce cercle sans fin de tortures et de morts…

Les hommes étant souvent les premières victimes de ces yûrei, et devenant des esprits à leur tour, ils se vengeront, eux aussi, sur les femmes enceintes, les suivantes, ayant déménagé dans cette maison de l’horreur. Un cercle vicieux commence alors, dont les enfants seront aussi victimes (par exemple Kazuha, la petite sœur de Yasuo Odajima qui pense voir en la figure de ce fantôme vêtue de blanc sa mère décédée), des proies pour ces mères-fantômes, recherchant ce lien brisé avec leur bébé disparu. La maison, en tant qu’entité propre et distincte, s’étant nourrie des événements sanglants arrivés en son sein, répète cette roue du karma. En réalité, il s’agit d’un cycle d’émotions qui se répètent à l’infini, dans une temporalité mixée, sans réelles possessions :

La femme enceinte devient une cible pour un mari jaloux, la jeune fille devient une proie pour des gens malintentionnés, l’enfant innocent.e devient un sacrifice nécessaire, et la mort de l’homme devient une catharsis pour cette souffrance féminine accumulée.

Une temporalité intriquée, où les apparitions ne sont peut-être que des habitant.e.s de la maison ou de simples passant.e.s à un moment T de l’histoire de cette habitation maudite. C’est sur ce concept bien pensé et bien réalisé que Takashi Shimuzu avait bâti l’univers Ju-On. Malheureusement, non repris ou à peine effleuré par ses remakes américains, ce concept qui caractérise le Ju-On japonais revient avec cette série Ju-On: Origins, une digne descendante de cet empire horrifique nippon.

Après l’échec cuisant du quatrième remake américain (Nicolas Pesce, 2020), la série Ju-On: Origins remonte avec brio le niveau de cette saga dantesque qui mérite d’être reprise en mains afin de permettre à ces esprits féminins de vivre et de passer un message, plus important que jamais à notre époque : les violences faites aux femmes, c’est NON !


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