Alien, le huitième passager, Terminator, Predator1, trois films, trois icônes monstrueuses qui ont marqué le cinéma de genre dans les années 1980. Trois films qui ont connu de nombreuses sequels et prequels, mais malheureusement, il faut reconnaître que les suites ne sont pas à la hauteur des films originaux. Pour Terminator et Predator, seules les suites directes peuvent être considérées comme dignes des premiers films. Quant à la saga Alien, elle s’en sort mieux puisque les trois suites restent de très bonnes qualités2. Mais, si la qualité des films a diminué, c’est qu’il y a eu un malentendu. Traités comme des films de science-fiction, Alien, le huitième passager, Terminator et Predator sont en réalité des films d’horreur dans un contexte de science-fiction.

LE DÉSÉQUILIBRE ENTRE LE MONSTRE ET LA VICTIME

Si les sagas se sont fourvoyées au fil des années, c’est parce qu’elles ont abandonné les codes du genre auxquels les premiers opus appartiennent, et qui en ont fait de grands films, à savoir ceux du film d’horreur. Tout d’abord, il s’agit, dans Alien, le huitième passager, Terminator, Predator, de mettre face à face des monstres quasiment indestructibles et des victimes sans défense. Les films s’ouvrent avec un déséquilibre dans le rapport de force plus qu’évident entre le « chasseur » et sa « proie »3 et le destin des pauvres victimes désignées semble être déjà joué. Et même si les mercenaires dirigés par Arnold Schwarzenegger dans le film Predator peuvent apparaître comme des durs à cuire surentraînés et armés jusqu’aux dents, ce ne sont en réalité que de pauvres proies armées de bâton face à un chasseur extraterrestre implacable, armé de super technologies inimaginables pour l’être humain. D’autre part, dans Alien, le huitième passager l’équipage du Nostromo doit faire face à une effroyable créature extraterrestre dont le sang est de l’acide, véritable animal féroce, tandis que dans Terminator, un monstrueux robot, venu du futur et composé d’un métal quasiment indestructible4 se lance à la poursuite d’une pauvre jeune femme, Sarah Connor, une simple serveuse. Et lorsque l’héroïne/héros reçoit l’aide d’un·e autre personnage comme cela est le cas dans les films Terminator et Terminator 2, le jugement dernier, les rapports de force sont complètement déséquilibrés. Kyle Reese, envoyé par John Connor depuis le futur pour protéger sa mère, n’est qu’un simple résistant, alors que dans le deuxième opus de la série, le T-800, envoyé par la résistance pour sauver Sarah Connor, est beaucoup moins perfectionné que le terrible T-1000 et semble bien obsolète face à son adversaire fabriqué en métal liquide. Alien, le huitième passager, Terminator, Predator, comme un très grand nombre de films d’horreur s’ouvrent donc par un déséquilibre entre le monstre5 et la victime, mais par ce simple fait, le public et l’héroïne/héros du film voient leur « destin cinématographique » lié.

L’INDENTIFICATION DU PUBLIC
La nature vulnérable et humaine des protagonistes permet au public de s’identifier aux personnages principaux6 et il se crée donc une empathie naturelle, une connexion, une identification entre celui-ci et l’héroïne/héros7. Il ne s’agit pas d’inviter le public à demeurer admiratif devant des héros presque surhumains, dotés de qualités hors du commun : la pratique d’un art martial, une grande dextérité avec les armes ou encore un don surnaturel, des capacités quasiment venues de nulle part et qui placent le héros au-dessus du public, rendant l’identification et l’expérience cinématographique impossibles8. Dans les blockbusters, genre dans lequel ont glissé peu à peu les suites de Alien, le huitième passager, Terminator et Predator, on retrouve souvent cette habitude du héros à aligner les morts et les destructions tout en faisant de l’humour. Le but pour les producteurs étant d’habituer le public à la violence en la rendant séduisante, rendant le film « plus grand public », pour pouvoir mener une campagne publicitaire de promotion du film sur le « toujours plus »; plus d’actions, plus de cascades, plus d’effets spéciaux pour finalement négliger complètement le scénario. Les héroïnes/héros se transformant peu à peu en de super guerriers, devenant ainsi complètement hors de portée du public. Les scénaristes vont transformer Sarah Connor en une espèce de survivaliste surentraînée et surarmée et même Ellen Ripley va acquérir des pouvoirs surhumains dans le quatrième opus de la saga Alien. C’est en partie en ceci que les suites ont cessé de fonctionner. Essayer de mettre l’héroïne/héros au niveau du monstre a éloigné les protagonistes du public. Au contraire, dans Alien, le huitième passager, Terminator et Predator, il ne s’agit pas de faire la morale au public ou de l’habituer à compter sur la figure de l’homme providentiel qui, à lui tout seul, va sauver l’humanité9. En effet, le héros/public ne peut compter que sur lui-même et ses capacités humaines; son ingéniosité, sa capacité à réfléchir, son courage face à l’adversité et sa capacité à se surpasser, ce que, en fin de compte, tout être humain est capable de faire. Même un Schwarzenegger tout en muscles, alors devenu une superstar après le succès de Terminator, incarne dans le film de John McTiernan un personnage qui se retrouve littéralement sans défense devant le Predator10. Toute l’équipe du Major « Dutch » va se faire trucider et même les capacités sensorielles, presque surnaturelles11, du personnage Billy Sole, coéquipier amérindien de Dutch, ne le sauveront pas du terrible chasseur extraterrestre. Le salut de Dutch, que l’on sent impuissant face à son adversaire venu de l’espace, ne viendra que grâce à sa capacité à observer, à réfléchir12, mais aussi parce qu’il réussit à demeurer un être humain, il ne s’agit pas pour le héros d’atteindre un stade de surhomme pour finalement devenir lui-même monstre13. Ainsi, pour que l’expérience cinématographique puisse exister, il faut que l’auteur crée une connexion entre le public et l’héroïne/héros, mais il faut aussi que le public ait le sentiment qu’il partage un même espace avec l’ensemble des protagonistes du film, monstres y compris.

Alien, le huitième passager, Terminator et Predator, s’inscrivent bien dans le cinéma d’horreur. L’héroïne/héros se retrouve enfermé·e dans une espèce de boîte de Pandore que le réalisateur ouvre le temps du film pour non pas libérer le « mal », mais pour faire entrer le public à l’intérieur de la boîte, à l’intérieur de cet espace partagé que l’on nomme cinéma.

LE MONSTRE TAPI DANS L’OMBRE

Même si les coûts et le stade d’avancement des effets spéciaux de l’époque ont sûrement conditionné la façon de montrer les monstres, ces trois films adoptent un autre code du genre horrifique : le monstre tapi dans l’ombre. En effet, durant quasiment toute la durée de l’histoire, le monstre reste caché, ou bien on ne fait que l’entrevoir pour ne se dévoiler que dans la dernière séquence. Il ne s’agit pas de mettre plein les yeux au public en montrant les créatures en plein jour et en faisant étalage des prouesses techniques en matière d’effets spéciaux pour finalement faire oublier un scénario insipide, mais de créer la peur et un sentiment d’insécurité, atmosphère propre au genre horreur. Ainsi, le Terminator cache sa véritable nature sous la peau synthétique et les traits d’un être humain et ce n’est que dans la dernière partie du film que le public découvre sa véritable apparence. L’Alien, quant à lui, tue les pauvres membres du Nostromo en surgissant des conduits d’aération et autres recoins sombres du vaisseau alors que le Predator reste invisible aux yeux des mercenaires grâce à sa technologie de camouflage perfectionnée pour ne se dévoiler que dans la dernière séquence, menaçant le Major Dutch de ses effrayantes mandibules. Cette absence prolongée du monstre à l’écran peut être liée à la tradition lovecraftienne14 de l’horreur indicible, c’est-à-dire à l’existence d’une horreur tellement effroyable que l’on ne peut pas la dire, en l’occurrence pour un récit écrit, la décrire par l’écriture et les mots. Ici, dans les films, l’horreur est telle que l’on ne peut pas l’imaginer, elle est inimaginable pour les protagonistes/victimes c’est-à-dire qu’iels ne peuvent pas s’en faire une idée mentale, mais aussi que l’auteur/réalisateur ne peut pas la mettre en image; l’horreur n’est pas « imageable« . C’est que dans les films d’horreur, il s’agit moins de pointer du doigt la nature du monstre, y compris sa nature physique, que ce qui crée le monstre. Cette absence du corps du monstre à la fois dans l’espace diégétique et dans l’image (c’est-à-dire dans l’espace écranique), va de pair avec la présence/conscience que la victime et le public ont du danger que le monstre représente. Le danger est d’autant plus grand que le monstre reste invisible ou caché aux yeux de la victime et du public. En ce sens, Alien, le huitième passager, Terminator et Predator, s’inscrivent bien dans le cinéma d’horreur. L’héroïne/héros se retrouve enfermé·e dans une espèce de boîte de Pandore que le réalisateur ouvre le temps du film pour non pas libérer le « mal », mais pour faire entrer le public à l’intérieur de la boîte, à l’intérieur de cet espace partagé que l’on nomme cinéma.

LE HUIS CLOS
Cet enfermement des antagonistes caractérise les films d’horreur. C’est que l’histoire ne peut avoir lieu que si les personnages « acceptent » consciemment ou non, de partager le même espace diégétique et dans Alien, le huitième passager, Terminator et Predator, cet espace est celui du huis clos. C’est avec La Nuit des Mort-Vivants de Romero sorti en 1968, que le schéma du huis clos a été popularisé dans le cinéma d’horreur moderne. Dans le chef d’œuvre de Romero, il s’agissait d’enfermer les protagonistes dans une maison assiégée par des mort·e·s-vivant·e·s alors que dans Alien, le huitième passager Ellen Ripley doit affronter l’Alien dans le dédale d’un vaisseau-cargo perdu au milieu de l’espace. Dans Predator, la confrontation a lieu dans la jungle épaisse du Guatemala, tandis que le terrible Terminator pourchasse la pauvre Sarah Connor dans un Los Angeles dont les différents décors, la boîte de nuit, le commissariat, l’usine de fin apparaissent comme de véritables lieux fermés/clos, des pièges toujours prêts à se refermer sur l’héroïne. Ce sont donc des espaces qui se suffisent à eux-mêmes et qui contiennent l’action et les mécanismes nécessaires de la diégèse. C’est que l’héroïne/héros du film d’horreur ne peut pas et ne doit pas s’échapper, c’est-à-dire sortir de cet espace partagé à la fois avec le monstre, mais aussi avec le public15. Car le destin diégétique de l’héroïne/héros est d’affronter la bête et de la défaire. Le destin cinématographique du public est celui d’être le témoin de la victoire de l’héroïne/héros sur le monstre. En ce sens, le public, l’héroïne/héros et le monstre partagent un destin commun : le cinéma et plus particulièrement ici, le cinéma d’horreur.


LA TRAQUE
Enfin, on peut relever dans les films Alien le huitième passager, Terminator et Predator, un dernier schéma narratif typique du cinéma d’horreur : la traque16. Comme dans Halloween, la nuit des masques (1978), réalisé par John Carpenter, film qui va poser les bases narratives du slasher, ou encore Massacre à la tronçonneuse (1974) réalisé par Tobe Hooper, l’héroïne/héros se voit prendre en chasse par un monstre qui va la/le traquer pendant une grande partie du film. Ces deux films majeurs du cinéma d’horreur moderne intègrent les codes évoqués plus haut : un déséquilibre dans les rapports de force entre l’héroïne/héros et le monstre qui apparaît comme surhumain, se cachant ou cachant son visage derrière un masque et traquant sa victime. Ainsi, dans Halloween, la nuit des masques, Laurie Strode interprétée par une jeune Jamie Lee Curtis se voit prendre en chasse par un tueur masqué, le terrible Michael Myers évadé d’un hôpital psychiatrique. Myers va traquer ses victimes dans la petite ville d’Haddonfield et dans la séquence finale, Laurie Strode et Michael Myers vont finir par s’affronter dans une maison plongée dans l’obscurité. Tandis que dans le film de Tobe Hooper, la pauvre Sally Hardesty, perdue dans un territoire économiquement délabré et baignant dans une atmosphère plus que malsaine, va être poursuivie par Leatherface, un psychopathe au physique impressionnant et armé d’une tronçonneuse, portant un masque fait de peau humaine. On retrouve ainsi ce thème de la traque dans de nombreux films d’horreur, mais c’est dans It Follows (2014), l’excellent film réalisé par David Robert Mitchell, que ce schéma de la traque est magnifié puisque le réalisateur en a fait le sujet de son film : l’héroïne se voit transmettre par son amant une étrange malédiction, une entité va la traquer pour la tuer. L’héroïne n’a d’autre choix que de fuir sans cesse. Cette entité qu’elle seule peut voir, « ne peut que marcher, mais saura toujours la retrouver où qu’elle se trouve ». On peut donc voir que dans le cinéma d’horreur, la traque est un schéma narratif très fort. Dans les films Alien, le huitième passager, Terminator et Predator la traque constitue un élément important des ressorts narratifs du scénario : l’Alien traquant Ellen Ripley, le Terminator traquant Sarah Connor et le Predator traquant le Major Dutch. Une grande partie du suspens de ces trois films repose sur la résolution de cette traque. Comment va-t-elle finir, qui de l’héroïne/héros ou du monstre va sortir vivant·e de cette traque ?

Ainsi, Alien, le huitième passager, Terminator et Predator, intègrent dans leurs schémas narratifs un grand nombre de codes typiques du cinéma d’horreur pesant d’une manière déterminante sur le déroulement scénaristique. Et ce parce que ce sont avant tout des films d’horreur dans un contexte de science-fiction.

1. Alien, le huitième passager de Ridley Scott (1979), Terminator de James Cameron (1984) et Predator de John McTiernan (1987).
2. C’est parce qu’elles sont restées dans le même registre que le premier opus de la saga.
3. Dans Predator, un chasseur extraterrestre, le Predator, prend en chasse des mercenaires dans une jungle d’Amérique du Sud.
4. Le Terminator est incarné par un Arnold Schwarzenegger au top de sa forme physique ce qui rend le monstre encore plus effrayant.
5. Ici, le terme de monstre ne renvoie pas à un jugement moral, mais à sa nature physique.
6. Ellen Ripley dans Alien, le huitième passager, Sarah Connor dans Terminator et le Major Alan Dutch Shaefer dans Predator.
7. Dans les films d’horreur des années 1980 et notamment les slashers, la victime/héroïnes est souvent une femme qui réussit à la fin à battre le monstre/tueur.
8. Le cinéma ne peut exister que grâce à ce phénomène typiquement humain de l’identification entre le spectateur et les personnages des films.
9. C’est tout l’enjeu du cinéma reaganien, celui de faire croire au public qu’il existe un homme providentiel qui viendra pour les sauver et souvent c’est par les urnes qu’il prétend venir !
10. Il se retrouve sans armes dans la dernière séquence du film.
11. Contrairement aux blockbusters, dont les capacités quasi surhumaines des héros leur permettent de venir à bout de tous les obstacles même les plus invraisemblables et presque sans efforts.
12. « Dutch » se rend compte que la boue froide le rend invisible aux capteurs du Predator.
13. Cette humanité de Dutch est relevée par la boutade qu’il dit au Predator: « T’as pas une gueule de porte-bonheur, toi ! »
14. H.P. Lovecraft, auteur américain de récits d’horreur et fantastiques, étant une des grandes sources d’inspirations des réalisateurs de films d’horreur à partir des années 1980, surtout des auteurs américains.
15. A la question d’un spectateur qui se demande pourquoi l’héroïne/héros décide de pénétrer dans la maison ou la forêt où le monstre l’attend bien évidemment, on pourrait répondre que si l’héroïne/héros s’enfuit le film n’existe pas et l’expérience cinématographique n’a pas lieu : l’héroïne/héros doit entrer dans la maison/forêt.
16. On pourrait bien entendu citer The Thing de John Carpenter qui est un (très grand) film d’horreur dans un contexte de science-fiction, puisque le monstre est un extra-terrestre, mais il ne viendrait à l’idée de personne de le classer dans le genre science-fiction.

Votre commentaire