Réalisé par Robert Eggers, The Witch (2015) est un film canado-américain d’horreur mettant en scène une famille dévote cherchant, grâce au travail de la terre, à domestiquer une nature sauvage jugée diabolique puisque « non-ordonnée » par l’Homme selon les volontés de Dieu.
Éloignés ainsi de la civilisation et des autres êtres humains, le couple et leurs cinq enfants cultivent leurs champs d’une Nouvelle-Angleterre des années 1630 non sans difficultés (leurs récoltes se dessèchent soudainement et leurs réserves s’amenuisent petit à petit…). La mystérieuse disparation du dernier-né de la famille, un bébé qui se trouvait alors sous la garde de l’aînée, une jeune fille imaginative, marque le début d’une véritable chasse aux sorcières pour savoir lequel d’entre eux aurait « péché » et amené le diable dans cet endroit paisible qui devait ressembler à un nouvel Eden.
Très vite, un climat de méfiance s’installe liant les croyances fanatiques des parents à leurs difficultés de plus en plus prononcées à vivre isolés et à se nourrir, des envies sécrètes d’adolescent·e·s en pleine puberté reclus·es au sein de leur unité familiale et des vives inquiétudes de leur mère sombrant peu à peu dans la folie et la névrose. Un véritable conte horrifique débute alors.
Loin d’une horreur qui se cantonne à des jump scare et à des événements directement montrés au spectateur, The Witch est marqué par une horreur psychologique et une atmosphère très sombre (la petite bicoque en chaume, des champs desséchés, une forêt profonde, des personnages sérieux aux vêtements sobres, trop croyants pour « se laisser vivre »), bref ce film manque cruellement de couleurs vives et renvoie l’image d’un monde sans vie, sans amour, sans bonheur où tout apparaît comme « péchés » et malédictions.
Et c’est malgré son apparence austère que The Witch se montre, en réalité, palpitant. Les sentiments et les émotions des protagonistes apparaissent alors exacerbés. Leurs doutes et leurs paroles résonnent davantage puisqu’ils sont seuls, renfermés sur eux-mêmes. Ils forment une société à part entière, perdue au milieu d’une étendue sauvage qui semble cacher des forces magiques et obscures, prêtes à dévorer ces « fous », ces exclus, croyant réaliser un rêve inaccessible.






The Witch traite de la sorcellerie sous divers aspects : une chasse au bouc-émissaire dans un monde de fanatiques religieux, une pulsion de vie peut-être propre à l’adolescence et à sa volonté de s’émanciper de l’ordre mis en place, une vive inquiétude envers une nature sauvage, cruelle et profonde. Le film joue sur cette peur, propre à l’Humanité, des « abysses », « du noir » et des forêts primordiales censées abriter quelques esprits originels et autres divinités informes avec des plans de branches et d’arbres déformés. Une forêt où, peut-être, l’enfant vit toujours… enlevé par un monstre ou par elle-même. Critiquant également l’intégrisme religieux et l’impact du fanatisme sur l’éducation des enfants (puisque les parents ont, en réalité, condamné leurs enfants à vivre dans le malheur, la famine et l’obscurantisme en ayant choisi de vivre loin de la civilisation, et en les éloignant d’autres opinions et d’opportunités), The Witch donne de multiples points de vues au spectateur : à qui la faute ? Celle des parents et leur fanatisme religieux ? Le diable ? La forêt ? La jeune fille imaginative qui ne rentre pas dans le moule et qui ne rêve que d’émancipation ? Ou une sorcière tapie au fond des bois ?
Robert Eggers perd son spectateur pour mieux le retrouver dans une scène finale où la jeune fille deviendra ce que ses parents ont redouté : la figure de la sorcière, libre, sensuelle et puissante dans un monde de domination religieuse, de dogmes froids, de patriarcat et d’expiation des péchés. La forêt deviendrait alors un refuge plus accueillant que cette ferme pieuse et sans vie.
Encore une fois, est-ce réel ou la folie a-t-elle fini par dévorer tout sur son passage ? En conclusion, The Witch est un film très bien réalisé (et actuellement disponible sur Netflix au passage) qui pose les bonnes questions sur les rails de nos angoisses grâce à l’utilisation d’une tension crescendo et la mise en place d’une ambiance lugubre merveilleusement bien imaginée.
Tout en reconnaissant la grande qualité de ce film, je n’ai pas réussi à aimer, je n’arrivais pas à rentrer dans l’histoire, et j’ai trouvé que la fin était un peu comme un cheveu sur la soupe…
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Très belle réussite dont j’ai également vanté les qualités, en terme d’écriture et de mis en scène (au passage, une excellente prestation de Anya Taylor-Joy à l’époque où elle n’était pas encore reine des échecs), et qui rompt avec les schémas classiques et usés du film d’horreur moderne. Eggers, comme son collègue Ari Aster, creuse le problème des fanatisme, des embrigadements de l’esprit en remontant aux âges archaïques, aux territoires reculés de l’Histoire officielle.
Il pose les bonnes questions en effet, et les illustre surtout avec brio, sans tomber dans l’excès qui, hélas, le perdra pour son film suivant.
Très bel article au passage.
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Merci 😊 totalement d’accord avec toi. Cette ambiance fantasmagorique, cet environnement cruel que l’on sent malveillant dès la première seconde du film, cette famille fanatisée aux pulsions refoulées avec comme trame principale cette volonté d’émancipation de la Femme. Un vrai chef d’œuvre 😍
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