Mort à 46 ans d’un cancer des intestins, l’auteur vécut une vie reflétant bien l’atmosphère lugubre et oppressante de ses œuvres fantastiques. Curieux et explorateur de nature, H.P. Lovecraft arpente des endroits qui l’aident à écrire, de vieilles grottes, le bord de mer, les nuits de pleine lune comme les promenades ensoleillées des rues de Providence. H.P. Lovecraft apparaît comme un artiste très complexe à l’instar de ses mondes effrayants et fantastiques. Coupé de l’école lors de son adolescence, une période de dépression le touchera lors de l’entrée de ses amis à l’Université. Lui qui rêvait de réaliser des études en Astrophysique ressentira cet échec très profondément. C’est à cette période qu’il commença à écrire des articles scientifiques en astrophysique, publiés dans le journal local. Encore loin de l’écriture littéraire, H.P. Lovecraft apprendra néanmoins les codes de l’écriture scientifique et journalistique qui transparaît fortement dans l’ensemble de ces écrits. De journaliste amateur il passe à la littérature fantastique dans des magazines qui commencent à proliférer dans les années 1920 appartenant au genre des faux polars. Il gagnera ainsi sa vie en rédigeant des nouvelles de ce genre. Un écrivain sans livre puisque ses écrits deviendront réellement connus qu’après sa mort. Il est ainsi mort ignoré par le milieu littéraire et du grand public, intéressé davantage par le magazine que par la signature de H.P. Lovecraft. Adepte des correspondances, il écrivait des lettres à beaucoup de ses amis au sujet de ses doutes sur la qualité de son écriture. Peu confiant à son sujet et sur l’avenir de sa société, une certaine désolation l’accompagne et sera perceptible dans son art.
Howard Philips Lovecraft (1890-1937) un écrivain entre matérialisme et ethnocentrisme
Grand artisan de l’horrifique et de la science-fiction du XXe siècle, H.P. Lovecraft rappelle Edgar Allan Poe ou encore Stephen King tant ses récits peuvent paraître dérangeants et oppressants à son lecteur. L’art de de Lovecraft tourne autour du désespoir et de la conviction que l’humanité n’a que peu place et de pouvoir au sein de l’immensité des galaxies de notre univers. Si petits, si insignifiants qu’ils soient, les humains ne peuvent que se débattre face à des créatures si puissantes qu’elles ne se rendent même pas compte de la présence des êtres humains. Un combat perdu d’avance pour nos semblables dominés par la peur et si fragiles psychologiquement qu’il leur est impossible de constater et de comprendre totalement la complexité de ces créatures si anciennes qu’elles dépassent de loin l’entendement humain. Les contes fantastiques de H.P. Lovecraft apprennent l’humilité, l’acharnement humain suivi d’un gouffre de désespoir où l’Homme se retrouve face à sa triste vérité : il n’est rien, il ne peut rien, il est de passage dans un monde qui n’est pas le sien. Des œuvres qui semblent refuser le monde et la société au profit de terribles vérités et de l’impuissance humaine. Issu d’une génération qui commence (par la vulgarisation des sciences, de l’astrophysique et la découverte des fonds marins) à se poser d’angoissantes questions sur la place de humanité dans l’univers grâce aux possibles découvertes qu’offrent un monde sans limite, H.P. Lovecraft apparaît comme un auteur à la fois perdu et visionnaire de son temps. Ce temps qui n’a pas réellement de sens dans son univers, puisqu’il ne semble pas toucher les Grands Anciens que l’auteur décrit avec horreur et admiration. H.P. Lovecraft s’inspire alors des événements contemporains de son époque comme s’il s’agissait d’un buvard qui s’imbibe d’éléments modernes qui ont transformé les mœurs et les façons de pensées des sociétés industrielles occidentales. Au-delà de ces éléments modernes, on peut également percevoir une fascination pour les sociétés dites traditionnelles, leurs rituels et leurs pratiques. Cette fascination, loin d’être relativiste, est particulièrement ethnocentrée puisque les sociétés dites traditionnelles que H.P. Lovecraft décrit sont souvent liés aux maléfices et à l’adoration d’entités diaboliques. La vie et son absence de sens l’inquiète et l’angoisse, ce qui lui permettra de transférer ces effroyables émotions dans ses récits. Souvent qualifié d’écrivain fantastique, H.P. Lovecraft n’en reste pas moins très réaliste. L’univers et ses infinies possibilités, la science et son pouvoir de destruction qui sont des éléments importants de son monde imaginaire reflètent une certaine réalité. Pour H.P. Lovecraft le fantastique se définit donc par une atmosphère, une ambiance étrange ressentie par le lecteur. Rien de magique ou de surnaturel ne transparaît dès lors dans son oeuvre puisque pour lui tout est possiblement concevable de façon rationnelle. Il n’y a que de la matière dans l’univers et chaque créature de son univers dépend uniquement de cette matière. De ce postulat, H.P. Lovecraft apparaît comme un écrivain fondamentalement athée puisque dans cet univers constitué uniquement de matière, il n’y a pas de place pour un dieu qui serait constitué d’une autre substance, une essence divine. L’athéisme et la matérialisme sont des éléments récurrents de la pensée de H.P. Lovecraft qui voit l’univers comme obéissant à des règles physiques. L’idée de bien, de mal et de jugement est donc exclue de ses récits.
L’idée du déclin de l’Occident, après les années 1930, l’imprègne puissamment. Fanatique du philosophe allemand Oswald Spengler, H.P. Lovecraft partage l’idée que les civilisations possèdent un cycle de vie, qu’elles grandissent, atteignent leur apogée et s’éteignent par la suite. Pour cet auteur, la culture est un chose primordiale dans la vie d’un être humain, elle est sa force et sa puissance car elle permet à l’espèce humaine de se réaliser pleinement. Il est néanmoins un écrivain plein d’ambiguïtés, notamment politiques. Frôlant le racisme, H.P. Lovecraft tombe dans un point de vue évolutionniste des sociétés et le mépris qu’il éprouve pour les individus issus de sociétés non-occidentales est perceptible dans l’ensemble de ses œuvres. Chose malheureusement commune dans le contexte de son époque. L’auteur utilise aisément des termes péjoratifs en parlant des indigènes amérindiens et des ethnies qui lui sont étrangères, des individus aux caractéristiques physiques qu’il décrit comme dérangeantes, primitives ou encore dégénérées. Son amour pour la culture (culture occidentale dans son cas) transforme sa pensée en élitisme, souvent au détriment des masses qui n’ont qu’à suivre l’élite culturelle qu’il perçoit comme charismatique et compétente. Cette pensée se veut particulièrement anthropocentrée puisque H.P. Lovecraft estime que la culture correspond uniquement à la culture occidentale dite civilisée. Il est important de préciser qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les cultures et les sociétés. Selon le principe de relativisme culturel, les propos de l’auteur à ce sujet sont condamnables et totalement obsolètes, liés à un contexte historique et social troublé dans lequel on a vu le racisme institutionnel de cette époque s’enraciner en Europe de façon abominable.
Des personnages à la recherche de vérité
H.P. Lovecraft demeure encore aujourd’hui un auteur inter-média dans le sens où ses œuvres continuent d’alimenter la culture fantastique et la culture geek à un niveau international. Un bon nombre de ces œuvres ont été adaptées en films, en jeux de société, en jeux vidéo, en livres et continuent d’inspirer des auteurs, des réalisateurs, des scénaristes et des artistes du monde entier. Dans les années 1980, le jeu de rôle L’Appel de Cthulhu et ses innombrables extensions vont contribuer à faire connaître au grand public l’univers de H.P. Lovecraft. Inventeur d’une cosmogonie qui lui est propre, H.P. Lovecraft organise son univers et établit sa propre mythologie avec les entités telles que Cthulhu et Dagon sans pour autant être issue d’un chantier individuel puisqu’il forma cet ensemble littéraire avec son cercle d’amis auteurs. Les personnages de ses œuvres ne sont pas des citoyens lambda, ils sont des hommes d’importance, érudits, historiens, écrivains, médecins, archéologues, ethnologues, scientifiques ou encore journalistes. Ce qui rend crédible leurs investigations. Ils sont courageux et ravis d’en apprendre davantage, de creuser toujours plus à la recherche d’une sombre vérité qui les brisera malheureusement, ils semblent forts psychologiquement et rationnels, des hommes de sciences qui tombent tous dans l’angoisse d’un univers insondable et de ses créatures cachées. Des hommes de raison qui perdront leurs crédibilités à montrer au grand public cette irrationalité. Les monstres de l’univers lovecraftien sont des créatures possédant un impact psychologique sur les personnages, ils s’insinuent de façon vicieuse dans l’esprit de leurs victimes. Le narrateur de l’histoire n’est jamais certain de la réalité de ce qu’il voit ou perçoit au point qu’il a parfois l’impression d’être fou. Les protagonistes lovecraftiens ont toujours, devant eux, plusieurs interprétations possibles. Ils découvrent une vérité cachée à partir de plusieurs indices, des coupures de journaux et des témoignages avant d’appréhender eux-mêmes le phénomène hors norme dont il est question. Sont-ils en train d’halluciner ou de rêver ? C’est notamment le cas avec l’une de ses nouvelles les plus horrifiques, Celui qui hantait les ténèbres. La question peut se poser dans les œuvres de H.P. Lovecraft. Le narrateur pose un doute et construit pour le lecteur le commencement de ce qui a causé cette interrogation, une genèse de l’histoire, avant de se diriger vers la triste vérité de l’univers lovecraftien.
La création d’un mythe
Les Grands Anciens qui ont précédé l’Homme sur Terre ont influencé les civilisations et les religions humaines et forment une mythique assemblée d’extra-terrestres monstrueux agissant sur l’esprit des Hommes. Enfouies dans de vieilles cités cyclopéennes sous-marines, ces créatures ont l’apparence de monstres des fonds marins tentaculaires, difformes et malsaines qui ont créé l’univers. De la science-fiction maudite et pessimiste qui transforme les aliens effrayants en divinités lovecraftiennes adorées par de pauvres humains ignorants et impuissants. Les mythes les plus puissants de H.P. Lovecraft sont bien évidemment le Necronomicon, livre maudit que l’on peut également apercevoir dans la trilogie Evil Dead réalisée par Sam Raimi, et le mythe de Cthulhu, monstre tentaculaire des abysses récemment transformé en tamagotchi sur mobile sous le nom de Cthulhu Virtual Pet. De nombreuses adaptations cinématographiques telles que Grabbers (Jon Wright, 2012), Le Territoire des Ombres (José Luis Aleman, 2009, 2010), Monsters (Gareth Edwards, 2010), The Last Lovecraft – The Relic of Cthulhu (Henry Saine, 2009), Ghostland (Pascal Laugier, 2018), Colour from the Dark (Ivan Zuccon, 2010) ou encore la sublime adaptation cinématographique en noir et blanc de The Whisperer In Darkness (Sean Branney, 2011). Tantôt effrayants, tantôt comiques à consonance philosophique, geek ou énigmatique, ces adaptations cinématographiques sont les rejetons de l’imagination fertile de l’écrivain H.P. Lovecraft. Des mythes encore bien présents qui font aujourd’hui partie de l’imaginaire collectif.
Source : https://www.franceculture.fr/personne-h-p-lovecraft
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